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LES DEUX TESTAMENTS

Enfin, lasse et brisée, elle s’endormit pour ne rêver que des rêves fatigants.

Pendant ce temps, Xavier avait continué de marcher en s’exaltant de plus en plus dans son désespoir.

Ce n’était pas la première fois, du reste, qu’il rôdait ainsi autour de la maison de sa bien-aimée ; il en avait pris l’habitude depuis quelques temps. Mais ce soir-là, il était encore plus malheureux que de coutume, d’autant plus qu’il avait vu entrer le veuf, l’air heureux et satisfait, et que la jalousie la plus poignante s’était emparée de lui.

Sa bonne mère, qui s’était aperçue de son chagrin et qui en avait deviné la cause, lui prêchait souvent la résignation et la soumission à la volonté du bon Dieu, et lui disait que ce monde, n’étant qu’un lieu d’expiation, il ne devait pas s’attendre à passer sa vie sans souffrances. Elle lui parlait du Sauveur qui avait tant souffert pour racheter les hommes ; des martyrs qui avaient donné leur vie pour leur foi ; des saints qui s’étaient sacrifiés toute leur vie pour plaire à Dieu et lui demandait si, après ces exemples, il ne pouvait pas, lui aussi, se résigner à souffrir sans murmurer contre la Providence.

Mais, ces remontrances sages ne faisaient qu’impatienter le jeune homme qui, bien qu’assez régulier dans ses devoirs religieux, n’avait jamais atteint, cependant, ce degré de dévotion qui console dans les peines et fortifie contre les tentations.

N’ayant jamais goûté aux consolations divines, son âme était incapable d’en comprendre la douceur. Pourtant le temps était venu où ces consolations lui auraient été bien salutaires.

L’épreuve était là, et la tentation approchait.

Où trouverait-il les forces nécessaires pour y résister ?

Vers les neuf heures, plusieurs jeunes gens passèrent sur la rue St. Laurent, en causant et en riant bruyamment.

C’était les mêmes qui avaient déjà accosté Xavier sur la rue.

Sans être ses amis, ils le connaissaient depuis son enfance, car ils avaient toujours demeuré dans le même quartier, et le traitaient familièrement sans s’offusquer du dédain que Xavier leur montrait.

— Tiens ! qu’est ce que tu fais donc ici ? lui dirent ils.

— Vous voyez bien, je me promène, dit Xavier sèchement.

— Ça doit pas être bien gai de se promener tout seul dans la rue comme ça, dit l’un d’eux.