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LES DEUX TESTAMENTS

assez hardi pour cela.

— En effet, c’était bien audacieux de sa part ; mais il a été reçu comme il le méritait, je vous l’assure.

— Vous avez bien fait. Votre charmante fille mérite mieux que cela. Mais à votre place, je ne permettrais pas à ce vaurien de remettre les pieds chez vous. Il y a des gens qui s’étonnent de voir qu’il est reçu dans votre maison.

Ayant lancé ce dernier trait, Bernier prit congé du bonhomme Renaud qui resta plongé dans de graves réflexions, après son départ.

Au moment où il avait refusé si durement la demande de Xavier LeClerc, une scène de sa jeunesse lui était revenue à l’esprit.

Il s’était revu, lui, le pauvre garçon de vingt ans, sans fortune, demandant à un père sévère, la main de sa fille, tout troublé par la crainte d’un refus désespérant.

— Mais le père, sévère en apparence, possédait beaucoup de justice et de bonté.

— Tu n’as rien, avait il dit, mais tu es jeune, honnête, intelligent, courageux, et tu réussiras dans le monde. Dans tous les cas, ce n’est pas la richesse qui fait le bonheur. Ma fille t’aime, tu l’aimes, prends-la donc et que le bon Dieu vous bénisse tous les deux.

Le père Renaud s’était donc rappelé cette scène, au moment de son refus à Xavier, mais il s’était défendu contre le bon mouvement que ce souvenir lui avait inspiré.

Cependant il lui était resté une sorte de remords depuis ce temps.

Mais la conversation qu’il venait d’avoir avec le veuf soulageait tant soit peu sa conscience. Dans une autre occasion, il aurait peut être été moins disposé à ajouter foi aux histoires de Bernier ; mais en ce moment, il ne demandait qu’à croire tout le mal possible que l’on put dire contre Xavier, car il sentait que cela justifiait sa propre conduite.

Il quitta donc le magasin avec la ferme intention de refuser l’entrée de sa maison, à Xavier, à l’avenir.

Pendant ce temps, Edmond Bernier se rendait à sa demeure, où il ne tarda pas à arriver.

À peine était-il entré que le petit Joseph se précipita à sa rencontre et lui dit en pleurant.

— Oh ! mon oncle ! memère est tombée et s’est fait bien mal.

Tout effrayé, Bernier suivit le petit jusque dans la chambre de Mde Champagne.

La pauvre femme dont le visage était pâle comme celui d’une morte, gisait sur son lit vers lequel elle n’avait eu que tout juste la force de se traîner, avec l’aide de son petit-fils.