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CHAPITRE IV

M. Renaud était à son magasin, surveillant et gourmandant ses commis, selon son habitude, et faisant force révérences aux clients.

Il pensait, cependant, à ses affaires de famille, le bonhomme, et surtout à sa fille qui avait l’air si découragée depuis que son père avait refusé la demande de Xavier LeClerc.

Il aimait bien sa fille, le bonhomme Renaud, mais il aimait encore plus à faire prévaloir ses volontés ; et, bien que le chagrin évident de Maria le troublait et lui ôtait l’appétit, parfois, il était toujours décidé à lui faire épouser celui qu’elle détestait, surtout dans le cas où ce dernier viendrait à hériter de la veuve Champagne.

Pendant qu’il était encore occupé de ces réflexions, le veuf entra et vint lui serrer la main en lui souhaitant le bonjour.

Après l’échange de quelques banalités, Bernier amena adroitement la conversation sur Xavier LeClerc.

— Je ne l’aurais jamais pensé, dit il, d’un air peiné, mais il paraît que ce jeune homme fréquente une bien mauvaise compagnie. Je l’ai encore rencontré hier soir. Il était avec une bande de tristes sujets, je vous l’assure.

— Eh bien ! cela ne m’étonne pas du tout ; j’ai soupçonné ce jeune homme de n’être pas aussi rangé qu’il le paraissait, et c’est un peu pour cela que je lui ai refusé la main de ma fille, car il l’a demandée en mariage il y a deux mois.

À la vérité, M. Renaud n’avait jamais eu de mauvais soupçons sur la conduite de Xavier, jusqu’à ce moment ; mais c’était une espèce de soulagement pour sa conscience de s’imaginer qu’il avait toujours eu ces soupçons, et de le dire. Cela lui faisait sentir qu’il avait eu raison de refuser la demande du jeune homme, et qu’en le faisant, il avait agi pour le plus grand bien de sa fille.

Il y a bien des gens chez qui l’imagination peut ainsi tenir la place de la vérité, au besoin.

— Le drôle a osé demander votre fille en mariage ? s’écria le veuf avec un étonnement parfaitement feint. Je ne l’aurais jamais cru