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LES DEUX TESTAMENTS

serait son enfant chéri entre bonnes mains.

Après le souper, quand le petit Joseph se fut endormi dans son lit blanc, la grand’mère et son gendre commencèrent une partie de cartes, seul amusement de la bonne vieille.

— J’ai rencontré Georges Vernette, ce matin, dit Bernier pendant une pause.

— Oui ? et qu’est-ce qu’il vous a dit ?

Georges Vernette était le fils d’un cousin germain de Mde Champagne, laquelle avait pour lui assez d’amitié. Cependant, il ne venait pas la voir aussi souvent que de coutume, depuis quelque temps et elle en était assez intriguée.

— Il ne m’a pas dit grand’chose.

— Mais quoi, encore ? A-t-il donné aucune raison pour ne pas être venu plus souvent dernièrement ?

— À la vérité, je ne lui en ai pas demandé.

— Pourquoi donc ? Cela ne vous étonne-t-il pas, comme moi, de voir comme il nous néglige maintenant ?

— Non, cela ne m’étonne pas du tout. Je serais étonnée au contraire, s’il osait venir ici assidûment après ce qu’il m’a dit dernièrement.

— Qu’est-ce qu’il vous a donc dit ? demanda la veuve de plus en plus intriguée.

— Je n’aime pas à vous le dire, la mère.

— Mais, je veux le savoir.

— Je vous assure que je préférerais ne pas vous le dire, mais enfin, puisque vous voulez le savoir.

Il s’arrêta quelques instants pendant que la veuve le regardait avec inquiétude.

— Voici comment la chose est arrivée. C’est à l’occasion des funérailles du bonhomme Binette. Comme nous sortions de l’église, Vernette et moi, il me dit tout bas.

« Si c’était la mère Champagne que nous irions enterrer, aujourd’hui, ça ferait bien votre affaire à vous et à moi, hein ? »

— Je lui lançai alors un regard si sévère et si indigné qu’il comprit qu’il s’était trompé en m’adressant une pareille remarque. Depuis ce temps là il est gêné avec moi et c’est sans doute la raison qui l’empêche de venir ici.

— Bonté du ciel ! s’écria la veuve, les yeux pleins de larmes, est-ce possible ? Lui que j’ai connu depuis qu’il est au monde, le fils de mon seul cousin germain ! Et sa défunte mère qui était ma meilleure amie ! Est ce bien possible ?

— C’est la vérité, malheureusement.

— J’ai peine à vous croire, Bernier. Vous avez dû vous tromper.