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spéciales qui y sont attachées. Mais à ce moment, ils ont cessé d’exister comme personnes ; ils sont tombés au rang d’amulettes anonymes et impersonnelles. En cet état, ils ne sont l’objet d’aucun culte ; ils ne servent plus qu’à des fins magiques.

Il y a cependant des tribus australiennes où sont périodiquement célébrés des rites en l’honneur d’ancêtres fabuleux que la tradition place à l’origine des temps. Ces cérémonies consistent généralement en des sortes de représentations dramatiques où sont mimés les actes que les mythes attribuent à ces héros légendaires[1]. Seulement, les personnages qui sont ainsi mis en scène ne sont pas des hommes qui, après avoir vécu d’une vie d’hommes, auraient été transformés en des sortes de dieux par le fait de la mort. Mais ils sont censés avoir joui, dès leur vivant, de pouvoirs surhumains. On leur rapporte tout ce qui s’est fait de grand dans l’histoire de la tribu et même dans l’histoire du monde. Ce sont eux qui auraient fait en grande partie la terre telle qu’elle est et les hommes tels qu’ils sont. L’auréole dont ils continuent à être entourés ne leur vient donc pas simplement de ce qu’ils sont des ancêtres, c’est-à-dire, en somme, de ce qu’ils sont morts, mais de ce qu’un caractère divin leur est et leur a été de tout temps attribué ; pour reprendre l’expression mélanésienne, ils sont constitutionnellement doués de mana. Il n’y a, par conséquent, rien là qui démontre que la mort ait le moindre pouvoir de diviniser. On ne peut même, sans impropriété, dire de ces rites qu’ils constituent un culte des ancêtres, puisqu’ils ne s’adressent pas aux ancêtres comme tels. Pour qu’il puisse y avoir un véritable culte des morts, il faut que les ancêtres réels, les parents que les hommes perdent réellement chaque jour, deviennent, une fois morts, l’objet d’un culte ; or, encore une fois, d’un culte de ce genre, il n’existe pas de traces en Australie.

  1. V. notamm. Spencer et Gillen, Northern Tribes, chap. VI, VII, IX.