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Il semble même que la mort devrait avoir pour effet d’affaiblir les énergies vitales, loin qu’elle pût les rehausser. C’est, en effet, une croyance très répandue dans les sociétés inférieures que l’âme participe étroitement de la vie du corps. S’il est blessé, elle est blessée elle-même et à l’endroit correspondant. Elle devrait donc vieillir en même temps que lui. En fait, il est des peuples où l’on ne rend pas de devoirs funéraires aux hommes qui sont arrivés à la sénilité ; on les traite comme si leur âme, elle aussi, était devenue sénile[1]. Il arrive même qu’on mette régulièrement à mort, avant qu’ils ne soient parvenus à la vieillesse, les personnages privilégiés, rois ou prêtres, qui passent pour être les détenteurs de quelque puissant esprit dont la société tient à conserver la protection. On veut éviter ainsi que cet esprit ne soit atteint par la décadence physique de ceux qui en sont les dépositaires momentanés ; pour cela, on le retire de l’organisme où il réside avant que l’âge ne l’ait affaibli, et on le transporte, tandis qu’il n’a encore rien perdu de sa vigueur, dans un corps plus jeune où il pourra garder intacte sa vitalité[2]. Mais alors, quand la mort résulte de la maladie ou de la vieillesse, il semble que l’âme ne puisse conserver que des forces amoindries ; et même, une fois que le corps est définitivement dissous, on ne voit pas comment elle pourrait lui survivre, si elle n’en est que le double. L’idée de survivance devient, de ce point de vue, difficilement intelligible. Il y a donc un écart, un vide logique et psychologique entre l’idée d’un double en

    la projeta dans les choses. Mais, ajoute-t-il, le fait que la nature ait été conçue comme animée à l’image de l’homme, n’explique pas qu’elle soit devenue l’objet d’un culte. « De ce que l’homme voit dans un arbre qui plie, dans la flamme qui va et vient, un être vivant comme lui, il ne suit nullement que l’un ou l’autre soient considérés comme des êtres surnaturels ; tout au contraire, dans la mesure où ils lui ressemblent, ils ne peuvent rien voir de surnaturel à ses yeux » (Introduction to the History of Religion, p. 55).

  1. V. Spencer et Gillen, North. Tr., p. 506, et Nat. Tr., p. 512.
  2. C’est ce thème rituel et mythique que Frazer étudie dans son Golden Bough.