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III

Mais arrivons à ce qui constitue le cœur même de la doctrine.

D’où que vienne l’idée d’un double, elle ne suffit pas, de l’aveu des animistes, à expliquer comment s’est formé ce culte des ancêtres dont on a voulu faire le type initial de toutes les religions. Pour que le double devînt l’objet d’un culte, il fallait qu’il cessât d’être une simple réplique de l’individu et acquit les caractères nécessaires pour être mis au rang des êtres sacrés. C’est, dit-on, la mort qui opérerait cette transformation. Mais d’où peut venir la vertu qu’on lui prête ? Quand même l’analogie du sommeil et de la mort aurait suffi à faire croire que l’âme survit au corps (et il y a des réserves à faire sur ce point), pourquoi cette âme, par cela seul qu’elle est maintenant détachée de l’organisme, changerait-elle complètement de nature ? Si, de son vivant, elle n’était qu’une chose profane, un principe vital ambulant, comment deviendrait-elle tout à coup une chose sacrée, objet de sentiments religieux ? La mort ne lui ajoute rien d’essentiel, sauf une plus grande liberté de mouvements. N’étant plus attachée à une résidence attitrée, elle peut désormais faire en tout temps ce que naguère elle ne faisait que de nuit ; mais l’action qu’elle est capable d’exercer est toujours de même nature. Pourquoi donc les vivants auraient-ils vu dans ce double déraciné et vagabond de leur compagnon d’hier, autre chose qu’un semblable ? C’était un semblable dont le voisinage pouvait être incommode ; ce n’était pas une divinité[1].

    nous engager dans cet examen que la théorie de Lang reste exposée à plusieurs des objections que nous allons adresser à celle de Tylor dans les paragraphes qui vont suivre.

  1. Jevons fait une remarque analogue. Avec Tylor, il admet que l’idée d’âme vient du rêve et que, cette idée une fois créée, l’homme