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point de n’en pouvoir être radicalement séparée : il y a des organes qui en sont, non pas seulement le siège attitré, mais la forme extérieure et la manifestation matérielle. La notion est donc plus complexe que ne le suppose la doctrine et, par suite, il est douteux que les expériences invoquées suffisent à en rendre compte ; car, même si elles permettaient de comprendre comment l’homme s’est cru double, elles ne sauraient expliquer comment cette dualité n’exclut pas, mais, au contraire, implique une unité profonde et une pénétration intime des deux êtres ainsi différenciés.

Mais admettons que l’idée d’âme soit réductible à l’idée de double et voyons comment se serait formée cette dernière. Elle aurait été suggérée à l’homme par l’expérience du rêve. Pour comprendre comment, alors que son corps restait couché sur le sol, il pouvait voir pendant son sommeil des lieux plus ou moins distants, il aurait été amené à se concevoir comme formé de deux êtres : son corps d’une part, et, de l’autre, un second soi, capable de quitter l’organisme dans lequel il habite et de parcourir l’espace. Mais d’abord, pour que cette hypothèse d’un double ait pu s’imposer aux hommes avec une sorte de nécessité, il eût fallu qu’elle fût la seule possible ou, tout au moins, la plus économique. Or, en fait, il en est de plus simples dont l’idée, semble-t-il, devait se présenter tout aussi naturellement aux esprits. Pourquoi, par exemple, le donneur n’aurait-il pas imaginé que, pendant son sommeil, il était capable de voir à distance ? Pour s’attribuer un tel pouvoir, il fallait de moindres frais d’imagination que pour construire cette notion si complexe d’un double, fait d’une substance éthérée, à demi invisible, et dont l’expérience directe n’offrait aucun exemple. En tout cas, à supposer que certains rêves appellent assez naturellement l’explication animiste, il en est certainement beaucoup d’autres qui y sont absolument réfractaires. Bien souvent, nos rêves se rapportent à des événements passés ;