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accessoires n’auraient eu qu’une influence secondaire ; ce qui aurait principalement déterminé l’institution du naturisme, c’est « l’interprétation littérale des noms métaphoriques[1] ».

Nous devions rapporter cette théorie afin que notre exposé de l’animisme fût complet ; mais elle est trop inadéquate aux faits et, aujourd’hui, trop universellement abandonnée pour qu’il y ait lieu de s’y arrêter davantage. Pour pouvoir expliquer par une illusion un fait aussi général que la religion de la nature, encore faudrait-il que l’illusion invoquée tînt elle-même à des causes d’une égale généralité. Or, quand même des méprises comme celles dont Spencer rapporte quelques rares exemples pourraient expliquer, là où on les constate, la transformation du culte des ancêtres en culte de la nature, on ne voit pas pour quelle raison elles se seraient produites avec une sorte d’universalité. Aucun mécanisme psychique ne les nécessitait. Sans doute, le mot, par son ambiguïté, pouvait incliner à l’équivoque ; mais d’un autre côté, tous les souvenirs personnels laissés par l’ancêtre dans la mémoire des hommes devaient s’opposer à la confusion. Pourquoi la tradition qui représentait l’ancêtre tel qu’il avait été, c’est-à-dire comme un homme ayant vécu une vie d’homme, aurait-elle partout cédé au prestige du mot ? D’autre part, on devait avoir quelque mal à admettre que des hommes aient pu naître d’une montagne ou d’un astre, d’un animal ou d’une plante ; l’idée d’une telle exception aux conditions ordinaires de la génération ne pouvait pas ne pas soulever de vives résistances. Ainsi, bien loin que l’erreur trouvât devant elle un chemin tout frayé, toutes sortes de raisons semblaient devoir en défendre les esprits. On ne comprend donc pas comment, en dépit de tant d’obstacles, elle aurait pu triompher aussi généralement.

  1. Ibid., p. 478 ; cf. p. 528.