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etc. ; par les secondes, on explique avant tout les phénomènes du monde physique, la marche des cours d’eau ou des astres, la germination des plantes, la prolifération des animaux, etc. C’est ainsi que cette première philosophie de l’homme qui est à la base du culte des ancêtres se compléta par une philosophie du monde.

Vis-à-vis de ces esprits cosmiques, l’homme se trouva dans un état de dépendance encore plus évident que vis-à-vis des doubles errants de ses ancêtres. Car, avec ces derniers, il ne pouvait avoir qu’un commerce idéal et imaginaire, tandis qu’il dépend réellement des choses ; pour vivre, il a besoin de leurs concours ; il crut donc avoir également besoin des esprits qui passaient pour animer ces choses et en déterminer les manifestations diverses. Il implora leur assistance, il la sollicita par des offrandes, par des prières, et la religion de l’homme s’acheva dans une religion de la nature.

Herbert Spencer objecte à cette explication que l’hypothèse sur laquelle elle repose est contredite par les faits. On admet, dit-il, qu’il y eut un moment ou l’homme ne saisit pas les différences qui séparent l’animé de l’inanimé. Or, à mesure qu’on s’élève dans l’échelle animale, on voit grandir l’aptitude à faire cette distinction. Les animaux supérieurs ne confondent pas un objet qui se meut de lui-même et dont les mouvements sont ajustés à des fins, avec ceux qui sont mus du dehors et mécaniquement. « Quand un chat s’amuse d’une souris qu’il a attrapée, s’il la voit demeurer longtemps immobile, il la touche du bout de sa griffe pour la faire courir. Évidemment, le chat pense qu’un être vivant qu’on dérange cherchera à s’échapper[1]. » L’homme, même primitif, ne saurait pourtant avoir une intelligence inférieure à celle des animaux qui l’on précédé dans l’évolution ; ce ne peut donc être par manque de discerne-

  1. Principes de sociologie, I, p. 184.