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tiels de l’être sensible qui lui sert d’enveloppe extérieure ; mais en même temps, il s’en distingue par plusieurs caractères. Il est plus mobile, puisqu’il peut parcourir en un instant de vastes distances. Il est plus malléable, plus plastique ; car, pour sortir du corps, il faut qu’il puisse passer par les orifices de l’organisme, le nez et la bouche notamment. On se le représente donc comme fait de matière, sans doute, mais d’une matière beaucoup plus subtile et plus éthérée que toutes celles que nous connaissons empiriquement. Ce double, c’est l’âme. Et il n’est pas douteux, en effet, que, dans une multitude de sociétés, l’âme n’ait été conçue comme une image du corps ; on croit même qu’elle en reproduit les déformations accidentelles, comme celles qui résultent des blessures ou des mutilations. Certains Australiens, après avoir tué leur ennemi, lui coupent le pouce droit afin que son âme, privée par contre-coup de son pouce, ne puisse lancer le javelot et se venger. Mais en même temps, tout en ressemblant au corps, elle a déjà quelque chose d’à demi spirituel. On dit « qu’elle est la partie la plus subtile et la plus aérienne du corps », « qu’elle n’a ni chair, ni os, ni nerfs » ; que, quand on veut la saisir, on ne sent rien ; qu’elle est « comme un corps purifié[1] ».

D’ailleurs, autour de cette donnée fondamentale du rêve, d’autres faits d’expérience venaient tout naturellement se grouper qui inclinaient les esprits dans le même sens : c’est la syncope, l’apoplexie, la catalepsie, l’extase, en un mot tous les cas d’insensibilité temporaire. En effet, ils s’expliquent très bien dans l’hypothèse que le principe de la vie et du sentiment peut quitter momentanément le corps. D’un autre côté, il était naturel que ce principe fût confondu avec le double, puisque l’absence du double pendant le sommeil a quotidiennement pour effet de suspendre la vie et la pensée. Ainsi des observations diverses

  1. Tylor, op. cit., I, p. 529.