Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/626

Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme il conviendrait, il faudrait que les conditions sociologiques de la connaissance fussent mieux connues qu’elles ne sont ; nous commençons seulement à entrevoir quelques-unes d’entre elles. Cependant, la question est si grave et elle est si directement impliquée par tout ce qui précède que nous devons faire effort pour ne pas la laisser sans réponse. Peut-être, d’ailleurs, n’est-il pas impossible de poser dès à présent quelques principes généraux qui sont tout au moins de nature à éclairer la solution.

La matière de la pensée logique est faite de concepts. Chercher comment la société peut avoir joué un rôle dans la genèse de la pensée logique revient donc à se demander comment elle peut avoir pris part à la formation des concepts.

Si, comme il arrive le plus ordinairement, on ne voit dans le concept qu’une idée générale, le problème paraît insoluble. L’individu, en effet, peut, par ses moyens propres, comparer ses perceptions ou ses images, dégager ce qu’elles ont de commun, en un mot généraliser. Il est donc malaisé d’apercevoir pourquoi la généralisation ne serait possible que dans et par la société. Mais d’abord, il est inadmissible que la pensée logique se caractérise exclusivement par la plus grande extension des représentations qui la constituent. Si les idées particulières n’ont rien de logique, pourquoi en serait-il autrement des idées générales ? Le général n’existe que dans le particulier ; c’est le particulier simplifié et appauvri. Le premier ne saurait donc avoir des vertus et des privilèges que n’a pas le second. Inversement, si la pensée conceptuelle peut s’appliquer au genre, à l’espèce, à la variété, si restreinte que celle-ci puisse être, pourquoi ne pourrait-elle pas s’étendre à l’individu, c’est-à-dire à la limite vers laquelle tend la représentation à mesure que son extension diminue ? En fait, il existe bien des concepts qui ont des individus pour objets. Dans toute espèce de religion, les dieux sont des individualités distinctes les unes des autres ; pourtant, ils sont con-