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avons vu, par exemple, comment les Arunta placent à l’origine des temps une société mythique dont l’organisation reproduit exactement celle qui existe encore aujourd’hui ; elle comprend les mêmes clans et les mêmes phratries, elle est soumise à la même réglementation matrimoniale, elle pratique les mêmes rites. Mais les personnages qui la composent sont des êtres idéaux, doués de pouvoirs et de vertus auxquels ne peut prétendre le commun des mortels. Leur nature n’est pas seulement plus haute, elle est différente, puisqu’elle tient à la foi de l’animalité et de l’humanité. Les puissances mauvaises y subissent une métamorphose analogue : le mal lui-même est comme sublimé et idéalisé. La question qui se pose est de savoir d’où vient cette idéalisation.

On répond que l’homme a une faculté naturelle d’idéaliser, c’est-à-dire de substituer au monde de la réalité un monde différent où il se transporte par la pensée. Mais c’est changer les termes du problème ; ce n’est pas le résoudre ni même le faire avancer. Cette idéalisation systématique est une caractéristique essentielle des religions. Les expliquer par un pouvoir inné d’idéaliser, c’est donc tout simplement remplacer un mot par un autre qui est l’équivalent du premier ; c’est comme si l’on disait que l’homme a créé la religion parce qu’il avait une nature religieuse. Pourtant, l’animal ne connaît qu’un seul monde : c’est celui qu’il perçoit par l’expérience tant interne qu’externe. Seul, l’homme a la faculté de concevoir l’idéal et d’ajouter au réel. D’où lui vient donc ce singulier privilège ? Avant d’en faire un fait premier, une vertu mystérieuse qui échappe à la science, encore faut-il s’être assuré qu’il ne dépend pas de conditions empiriquement déterminables.

L’explication que nous avons proposée de la religion a précisément cet avantage d’apporter une réponse à cette question. Car ce qui définit le sacré, c’est qu’il est surajouté au réel ; or l’idéal répond à la même définition : on ne peut