Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/596

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nature, mais par une simple modification des circonstances extérieures, une chose sainte ou une puissance tutélaire, et inversement. Nous avons vu comment l’âme du mort, qui est d’abord un principe redouté, se transforme en génie protecteur, une fois que le deuil est terminé. De même, le cadavre, qui commence par n’inspirer que terreur et éloignement, est traité plus tard comme une relique vénérée : l’anthropophagie funéraire, qui est fréquemment pratiquée dans les sociétés australiennes, est la preuve de cette transformation[1]. L’animal totémique est l’être saint par excellence ; mais il est, pour celui qui en consomme indûment la chair, un principe de mort. D’une manière générale, le sacrilège est simplement un profane qui a été contagionné par une force religieuse bienfaisante. Celle-ci change de nature en changeant d’habitat ; elle souille au lieu de sanctifier[2]. Le sang qui provient des organes génitaux de la femme, bien qu’il soit évidemment impur comme celui des menstrues, est souvent employé comme un remède contre la maladie[3] La victime immolée dans les sacrifices expiatoires est chargée d’impureté, puisqu’on a concentré sur elle les péchés qu’il s’agit d’expier. Cependant, une fois qu’elle est abattue, sa chair et son sang sont employés aux plus pieux usages[4]. Au contraire, quoique la communion soit une opération religieuse qui a normalement pour fonction de consacrer, elle produit parfois les mêmes effets qu’un sacrilège. Des individus qui ont communié sont, dans certains cas, obligés de se fuir comme des pestiférés. On dirait qu’ils sont devenus l’un pour

  1. Howitt, Nat. Tr., p. 448-450 ; Brough Smyth, I, p. 118, 120 ; Dawson, p. 67 ; Eyre, II, p. 257 ; Roth, North Queensland Ethn., Bull. n° 9, in Rec. of the Australian Museum, VI, n° 5, p. 367.
  2. V. plus haut, p. 457-458.
  3. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 464 ; North Tr., p. 599.
  4. Par exemple, chez les Hébreux, avec le sang de la victime expiatoire on lustre l’autel (Lévitique, IV, 5 et suiv.) ; on brûle les chairs et les produits de la combustion servent à faire une eau de purification (Nombres, XIX).