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III

Mais la mort n’est pas le seul événement qui puisse troubler une communauté. Il y a, pour les hommes, bien d’autres occasions de s’attrister ou de s’angoisser, et, par conséquent, on peut prévoir que même les Australiens connaissent et pratiquent d’autres rites piaculaires que le deuil. Il est, cependant, remarquable qu’on n’en trouve, dans les récits des observateurs, qu’un petit nombre d’exemples.

Un premier rite de ce genre ressemble de très près à ceux qui viennent d’être étudiés. On se rappelle comment, chez les Arunta, chaque groupe local attribue des vertus exceptionnellement importantes à sa collection de churinga : c’est un palladium collectif au sort duquel le sort même de la collectivité passe pour être lié. Aussi, quand des ennemis ou des blancs réussissent à dérober un de ces trésors religieux, cette perte est-elle considérée comme une calamité publique. Or ce malheur est l’occasion d’un rite qui a tous les caractères d’un deuil : on s’enduit le corps de terre de pipe blanche et on reste au camp pendant deux semaines à pleurer et à se lamenter[1]. C’est une preuve nouvelle que le deuil est déterminé non par la manière dont est conçue l’âme du mort, mais par des causes impersonnelles, par l’état moral du groupe. Voilà, en effet, un rite qui, par sa structure, est indistinct du deuil proprement dit et qui, pourtant, est indépendant de toute notion d’esprit ou de démon malfaisant[2].

Une autre circonstance qui donne lieu à des cérémonies

  1. Nat. Tr., p. 135-136.
  2. Sans doute, chaque churinga passe pour être en rapport avec un ancêtre. Mais ce n’est pas pour apaiser les esprits des ancêtres qu’on porte le deuil des churinga perdus. Nous avons montré d’ailleurs (p. 173) que l’idée d’ancêtre n’est intervenue que secondairement et après coup dans la notion du churinga.