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qu’il y a de vraiment essentiel dans le bouddhisme. Le bouddhisme, en effet, consiste avant tout dans la notion du salut et le salut suppose uniquement que l’on connaît la bonne doctrine et qu’on la pratique. Sans doute, elle n’aurait pu être connue si le Bouddha n’était venu la révéler ; mais une fois que cette révélation fut faite, l’œuvre du Bouddha était accomplie. À partir de ce moment, il cessa d’être un facteur nécessaire de la vie religieuse. La pratique des quatre vérités saintes serait possible, alors même que le souvenir de celui qui les a fait connaître se serait effacé des mémoires[1]. Il en est tout autrement du christianisme qui, sans l’idée toujours présente et le culte toujours pratiqué du Christ, est inconcevable ; car c’est par le Christ toujours vivant et chaque jour immolé que la communauté des fidèles continue à communiquer avec la source suprême de la vie spirituelle[2].

Tout ce qui précède s’applique également à une autre grande religion de l’Inde, au jaïnisme. D’ailleurs, les deux doctrines ont sensiblement la même conception du monde et de la vie. « Comme les bouddhistes, dit M. Barth, les jaïnismes sont athées. Ils n’admettent pas de créateur ; pour eux, le monde est éternel et ils nient explicitement qu’il puisse y avoir un être parfait de toute éternité. Le Jina est devenu parfait, mais il ne l’était pas de tout temps ». Tout comme les bouddhistes du Nord, les jaïnismes, ou du moins certains d’entre eux, sont néanmoins revenus à une sorte de déisme ; dans les inscriptions du Dekhan il est parlé d’un Jinapati, sorte de Jina suprême, qui est appelé le premier créateur ; mais un tel langage, dit le même auteur, « est en contradiction avec les déclarations

  1. « La doctrine bouddhique, dans tous ses traits essentiels, pourrait exister, telle qu’elle existe en réalité, et la notion du Bouddha lui rester totalement étrangère » (Oldenberg, p. 322). Et ce qui est dit du Bouddha historique s’applique également à tous les Bouddhas mythologiques.
  2. Voir dans le même sens Max Müller, Natural Religion, p. 103 et suiv. et 190.