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d’après Strehlow, cette conception du totémisme australien serait tout à fait étrangère à la mentalité indigène. « Si, dit-il, les membres d’un groupe totémique, en s’efforçant de multiplier les animaux ou les plantes de l’espèce consacrée, paraissent travailler pour leurs compagnons des autres totems, il faut se garder de voir dans cette collaboration le principe fondamental du totémisme arunta ou loritja. Jamais les noirs ne m’ont dit d’eux-mêmes que tel était l’objet de leurs cérémonies. Sans doute, quand je leur en suggérais l’idée et que je la leur exposais, ils la comprenaient et y acquiesçaient. Mais on ne me blâmera pas d’avoir quelque méfiance pour des réponses obtenues dans ces conditions. » Strehlow fait, d’ailleurs, remarquer que cette manière d’interpréter le rite est contredite par ce fait que les animaux ou les végétaux totémiques ne sont pas tous comestibles ou utiles ; il en est qui ne servent à rien ; il y en a même de dangereux. Les cérémonies qui les concernent ne sauraient donc avoir des fins alimentaires[1].

« Quand, conclut notre auteur, on demande aux indigènes quelle est la raison déterminante de ces cérémonies, ils sont unanimes pour répondre : C’est que les ancêtres ont institué les choses ainsi. Voilà pourquoi nous agissons de cette manière, et non pas autrement. » Mais dire que le rite est observé parce qu’il vient des ancêtres, c’est reconnaître que son autorité se confond avec l’autorité de la tradition, chose sociale au premier chef. On le célèbre pour rester fidèle au passé, pour garder à la collectivité sa physionomie morale, et non à cause des effets physiques qu’il peut produire. Ainsi, la manière même dont les fidèles l’expliquent laisse déjà transpirer les raisons profondes dont il procède.

  1. Ces cérémonies ne sont naturellement pas suivies d’une communion alimentaire. D’après Strehlow, elles portent, au moins quand il s’agit de plantes non comestibles, un nom générique distinct : on les appelle, non mbatjalkatiuma, mais knujilelama (Strehlow, III, p. 96).