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aux forces cosmiques et qui contrastent, par conséquent, de la manière la plus tranchée, avec ce pouvoir éminemment personnel qu’est la volonté humaine. Il est donc impossible qu’elles aient été conçues à l’image de cette dernière.

Il y a, d’ailleurs, un caractère essentiel des forces impersonnelles qui serait inexplicable dans cette hypothèse : c’est leur communicabilité. Les forces de la nature ont toujours été conçues comme susceptibles de passer d’un objet dans un autre, de se mêler, de se combiner, de se transformer les unes dans les autres. C’est même cette propriété qui fait leur valeur explicative ; car c’est grâce à elle que les effets peuvent être reliés à leurs causes sans solution de continuité. Or, le moi a un caractère précisément opposé : il est incommunicable. Il ne peut pas changer de substrat, s’étendre de l’un à l’autre ; il ne se répand que par métaphore. La manière dont il se décide et exécute ses décisions ne saurait donc nous suggérer l’idée d’une énergie qui se communique, qui peut même se confondre avec d’austres et, par ces combinaisons et ces mélanges, donner naissance à des effets nouveaux.

Ainsi, l’idée de force, telle que l’implique le concept de relation causale, doit présenter un double caractère. En premier lieu, elle ne peut nous venir que de notre expérience intérieure ; les seules forces que nous puissions directement atteindre sont nécessairement des forces morales. Mais en même temps, il faut qu’elles soient impersonnelles, puisque la notion de pouvoir impersonnel s’est constituée la première. Or, les seules qui satisfassent à cette double condition sont celles qui se dégagent de la vie en commun : ce sont les forces collectives. En effet, d’une part, elles sont tout entières psychiques ; elles sont faites exclusivement d’idées et de sentiments objectivés. Mais d’un autre côté, elles sont impersonnelles par définition, puisqu’elles sont le produit d’une coopération. Œuvre de tous, elles ne sont la chose de personne en particulier.