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croyance est psychologiquement explicable, il ne suit pas qu’elle ait une valeur objective. Pour que nous soyons fondé à voir dans l’efficacité attribuée aux rites autre chose que le produit d’un délire chronique dont s’abuserait l’humanité, il faut pouvoir établir que le culte a réellement pour effet de recréer périodiquement un être moral dont nous dépendons comme il dépend de nous. Or cet être existe : c’est la société.

En effet, pour peu que les cérémonies religieuses aient d’importance, elles mettent en mouvement la collectivité ; les groupes s’assemblent pour les célébrer. Leur premier effet est donc de rapprocher les individus, de multiplier entre eux les contacts et de les rendre plus intimes. Par cela même, le contenu des consciences change. Pendant les jours ordinaires, ce sont les préoccupations utilitaires et individuelles qui tiennent le plus de place dans les esprits. Chacun vaque de son côté à sa tâche personnelle ; il s’agit avant tout, pour la plupart des gens, de satisfaire aux exigences de la vie matérielle, et le principal mobile de l’activité économique a toujours été l’intérêt privé. Sans doute, les sentiments sociaux ne sauraient en être totalement absents. Nous restons en rapports avec nos semblables ; les habitudes, les idées, les tendances que l’éducation a imprimées en nous et qui président normalement à nos relations avec autrui continuent à faire sentir leur action. Mais elles sont constamment combattues et tenues en échec par les tendances antagonistes qu’éveillent et qu’entretiennent les nécessités de la lutte quotidienne. Elles résistent plus ou moins heureusement selon leur énergie intrinsèque ; mais cette énergie n’est pas renouvelée. Elles vivent sur leur passé et, par suite, elles s’useraient avec le temps si rien ne venait leur rendre un peu de la force qu’elles perdent par ces conflits et ces frottements incessants. Quand les Australiens, disséminés par petits groupes, chassent ou pêchent, ils perdent de vue ce qui concerne leur clan ou leur tribu : ils ne pensent qu’à