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mieux comprendre la nature de l’Intichiuma et celle du sacrifice.

Nous comprenons mieux l’Intichiuma. En effet, la conception de Frazer qui en faisait une simple opération magique, dénuée de tout caractère religieux[1], apparaît maintenant comme insoutenable. On ne peut songer à mettre hors de la religion un rite qui est comme le prodrome d’une aussi grande institution religieuse.

Mais nous comprenons mieux aussi ce qu’est le sacrifice lui-même. Tout d’abord, l’égale importance des deux éléments qui y entrent est désormais établie. Si l’Australien fait des offrandes à ses êtres sacrés, toute raison manque de supposer que l’idée d’oblation était étrangère à l’organisation primitive de l’institution sacrificielle et en troublait l’économie naturelle. La théorie de Smith est à réviser sur ce point[2]. Sans doute, le sacrifice, est, en partie, un procédé de communion ; mais c’est aussi, et non moins essentiellement, un don, un acte de renoncement. Il suppose toujours que le fidèle abandonne aux dieux quelque chose de sa substance ou de ses biens. Toute tentative pour ramener un de ces éléments à l’autre est vaine. Peut-être même l’oblation est-elle plus permanente que la communion[3].

En second lieu, il semble généralement que le sacrifice, et surtout que l’oblation sacrificielle, ne peut s’adresser qu’à des êtres personnels. Or, les oblations que nous venons de rencontrer en Australie n’impliquent aucune notion de ce genre. C’est dire que le sacrifice est indépendant des formes variables sous lesquelles sont pensées les

  1. Les indigènes, dit Strehlow, « considèrent ces cérémonies comme une sorte de service divin, tout comme le chrétien considère les exercices de sa religion » (III, p. 9).
  2. Il y aurait lieu notamment de se demander si les effusions sanglantes, les offrandes de chevelure dans lesquelles Smith voit des actes de communion ne sont pas des oblations proprement dites (v. Smith, op. cit., p. 320 et suiv.).
  3. Les sacrifices piaculaires, dont nous parlerons plus spécialement dans le chapitre V de ce même livre, consistent exclusivement en oblations. Ils ne servent à des communions que d’une manière accessoire.