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parcelles suffisent d’ailleurs, en vertu de la règle : la partie vaut le tout[1].

Mais pour que cette opération puisse produire tous les effets qu’on en attend, il importe qu’elle n’ait pas lieu à un moment quelconque. Le plus opportun est celui où la nouvelle génération vient d’arriver à son complet développement ; car c’est aussi le moment où les forces qui animent l’espèce totémique atteignent leur plein épanouissement. C’est à peine si elles viennent d’être extraites de ces riches réservoirs de vie que sont les arbres et les rochers sacrés. De plus, toute sorte de moyens ont été employés pour accroître encore leur intensité ; c’est à quoi ont servi les rites qui se sont déroulés pendant la première partie de l’Intichiuma. Au reste, par leur aspect même, les premiers produits de la récolte manifestent l’énergie qu’ils recèlent : le dieu totémique s’y affirme dans tout l’éclat de la jeunesse. C’est pourquoi, de tout temps, les prémices ont été considérés comme un aliment très sacré, réservé à des êtres très saints. Il est donc naturel que l’Australien s’en serve pour se régénérer spirituellement. Ainsi s’expliquent et la date et les circonstances de la cérémonie.

On s’étonnera peut-être qu’un aliment aussi sacré puisse être consommé par de simples profanes. Mais d’abord, il n’est pas de culte positif qui ne se meuve dans cette contradiction. Tous les êtres sacrés, en raison du caractère dont ils sont marqués, sont soustraits aux atteintes profanes ; mais d’un autre côté, ils ne serviraient à rien et manqueraient de toute raison d’être s’ils n’étaient mis en rapports avec ces mêmes fidèles qui, par ailleurs, doivent en rester respectueusement éloignés. Il n’y a pas de rite positif qui, au fond, ne constitue un véritable sacrilège ; car l’homme ne peut commercer avec les êtres sacrés sans franchir la barrière qui, normalement, doit l’en tenir séparé

  1. V. pour l’explication de cette règle supra, p. 328.