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ceux que les sujets doivent à leurs princes. Robertson Smith fut le premier à faire remarquer que cette explication classique ne tenait pas compte de deux caractères essentiels du rite. Tout d’abord, c’est un repas ; ce sont des aliments qui en sont la matière. De plus, c’est un repas auquel les fidèles qui l’offrent prennent part en même temps que le dieu auquel il est offert. Certaines parties de la victime sont réservées à la divinité ; d’autres sont attribuées aux sacrifiant qui les consomment ; c’est pourquoi, dans la Bible, le sacrifice est parfois appelé un repas fait devant Iahve. Or les repas pris en commun passent, dans une multitude de sociétés, pour créer entre ceux qui y assistent un lien de parenté artificielle. Des parents, en effet, sont des êtres qui sont naturellement faits de la même chair et du même sang. Mais l’alimentation refait sans cesse la substance de l’organisme. Une commune alimentation peut donc produire les mêmes effets qu’une commune origine. Suivant Smith, les banquets sacrificiels auraient précisément pour objet de faire communier dans une même chair le fidèle et son dieu afin de nouer entre eux un lien de parenté. De ce point de vue, le sacrifice apparaissait sous un aspect tout nouveau. Ce qui le constituait essentiellement, ce n’était plus, comme on l’avait cru si longtemps, l’acte de renoncement que le mot de sacrifice exprime d’ordinaire ; c’était, avant tout, un acte de communion alimentaire.

Il y aurait, sans doute, quelques réserves à faire, dans le détail, sur cette façon d’expliquer l’efficacité des banquets sacrificiels. Celle-ci ne résulte pas exclusivement du fait de la commensalité. L’homme ne se sanctifie pas uniquement parce qu’il s’assoit, en quelque sorte, à la même table que le dieu, mais surtout parce que l’aliment qu’il consomme dans ce repas rituel a un caractère sacré. On a montré, en effet, comment, dans le sacrifice, toute une série d’opérations préliminaires, lustrations, onctions, prières, etc., transforment l’animal qui doit être immolé en une chose sainte, dont la sainteté se communique ensuite au fidèle qui en