Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/458

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que toutes ces pratiques sont souvent présentées comme des ordalies destinées à éprouver la valeur du néophyte et à faire savoir s’il est digne d’être admis dans la société religieuse[1]. Mais en réalité, la fonction probatoire du rite n’est qu’un autre aspect de son efficacité. Car ce que prouve la manière dont il est subi, c’est précisément qu’il a bien produit son effet, c’est-à-dire qu’il a conféré les qualités qui sont sa première raison d’être.

Dans d’autres cas, ces sévices rituels sont exercés, non sur l’organisme dans son ensemble, mais sur un organe ou sur un tissu particulier dont ils ont pour objet de stimuler la vitalité. Ainsi, chez les Arunta, les Warramunga et plusieurs autres tribus[2], à un moment donné de l’initiation, des personnages déterminés sont chargés de mordre à belles dents dans le cuir chevelu du novice. L’opération est tellement douloureuse que le patient ne peut généralement pas la supporter sans pousser des cris. Or elle a pour but de faire croître les cheveux[3]. On applique le même traitement en vue de faire pousser la barbe. Le rite de l’épilation, que Howitt nous signale dans d’autres tribus, pourrait bien avoir la même raison d’être[4]. D’après Eylmann, chez les Arunta et les Kaitish, hommes et femmes se font de petites blessures au bras au moyen de bâtons rougis au feu, afin de devenir habiles à faire le feu ou afin d’acquérir la force nécessaire pour porter de lourdes charges de bois[5]. Suivant le même observateur, les jeunes filles Warramunga s’amputent, à une main, la deuxième et la troisième phalange de l’index, dans la pensée que le doigt devient ainsi plus apte à découvrir les ignames[6].

  1. Howitt, Nat. Tr., p. 569, 604.
  2. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 251 ; North. Tr., p. 341, 352.
  3. Aussi chez les Warramunga, l’opération doit-elle être faite par des sujets qui sont favorisés d’une belle chevelure.
  4. Howitt, Nat. Tr., p. 675 ; il s’agit des tribus du Darling inférieur.
  5. Eylmann, op. cit., p. 212.
  6. Ibid.