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religieux par excellence[1]. C’est d’eux seuls qu’il sera question dans les pages qui vont suivre.

Mais ils prennent les formes multiples. Voici les types principaux que l’on observe en Australie.

Avant tout, il y a des interdits de contact : ce sont les tabous primaires dont les autres ne sont guère que des variétés particulières. Ils reposent sur ce principe que le profane ne doit pas toucher le sacré. Déjà nous avons vu qu’en aucun cas les churinga ou les bull-roarers ne doivent être maniés par des non-initiés. Si les adultes en ont le libre usage ; c’est que l’initiation leur a conféré un caractère sacré. Le sang, et tout particulièrement celui qui coule pendant l’initiation, a une vertu religieuse[2] ; il est soumis au même interdit[3]. Il en est de même des chevaux[4]. Le mort est un être sacré, parce que l’âme qui animait le corps adhère au cadavre ; pour cette raison, il est parfois défendu de porter les ossements du mort autrement qu’enveloppés dans une feuille d’écorce[5]. Le lieu même où s’est produit

  1. Beaucoup des interdits entre choses sacrées se ramènent, pensons nous, à l’interdiction entre sacré et profane. C’est le cas des interdits d’âge ou de grade. En Australie, par exemple, il y a des aliments sacrés qui sont réservés aux seuls initiés. Mais ces aliments ne sont pas tous sacrés au même degré ; il y a entre eux une hiérarchie. De leur côté, les initiés ne sont pas tous égaux. Ils ne jouissent pas d’emblée de la plénitude de leurs droits religieux, mais n’entrent que pas à pas dans le domaine des choses sacrées. Ils doivent passer par toute une série de grades qui leur sont conférés, les uns après les autres, à la suite d’épreuves et de cérémonies spéciales ; il leur faut des mois, parfois même des années pour parvenir au plus élevé. Or, à chacun de ces grades sont affectés des aliments déterminés ; les hommes des grades inférieurs ne peuvent pas toucher aux aliments qui appartiennent de droit aux hommes des grades supérieurs (v. Mathews, Ethnol. Notes, etc., loc. cit., p. 262 et suiv. ; Langloh Parker, The Euahlayi, p. 23 ; Spencer et Gillen, Nat. Tr., North. Tr., p. 611 et suiv. ; Nat. Tr., p. 470 et suiv.). Le plus sacré repousse donc le moins sacré ; mais c’est que le second est profane par rapport au premier. En somme, toutes les interdictions religieuses se rangent en deux classes : les interdictions entre le sacré et le profane, celles entre le sacré pur et le sacré impur.
  2. V. plus haut, p. 194.
  3. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 463.
  4. Nat. Tr., p. 538 ; North. Tr., p. 604.
  5. North. Tr., p. 531.