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celle-ci sert de totem sexuel aux hommes dans de nombreuses tribus de Victoria[1].

On peut même aller plus loin et préciser davantage le rapport que soutiennent les grands dieux avec le système totémique. Daramulun, comme Bunjil, est un aigle-faucon et l’on sait que cet animal est un totem de phratrie dans un grand nombre de tribus du Sud-Est[2]. Nuralie, avons-nous dit, semble avoir été d’abord un terme collectif qui désignait indistinctement soit des aigles-faucons soit des corbeaux ; or, dans les tribus où ce mythe a été observé, le corbeau sert de totem à l’une des deux phratries, l’aigle faucon à l’autre[3]. D’autre part, l’histoire légendaire des grands dieux rappelle de très près celle des totems de phratrie. Les mythes, et parfois les rites, commémorent les luttes que chacune de ces divinités eut à soutenir contre un oiseau carnassier dont elle ne triompha pas sans peine. Bunjil, ou le premier homme, après avoir fait le second homme, Karween, entra en conflit avec lui, et, au cours d’une sorte de duel, il le blessa grièvement et le transforma en corbeau[4] Les deux espèces de Nuralie sont présentées comme deux groupes ennemis qui, primitivement, étaient sans cesse en guerre[5]. Baiame, de son côté, a à lutter contre Mullian, l’aigle-faucon cannibale, qui, d’ailleurs, est identique à Daramulu[6]. Or nous avons vu qu’entre les totems de phratrie il y a également une sorte d’hostilité constitutionnelle. Ce parallélisme achève de prouver

  1. Brough Smyth, I, p. 417-423.
  2. V. plus haut, p. 151.
  3. Ce sont les tribus où les phratries portent les noms de Kilpara (Corbeau) et de Mukwara. C’est ce qui explique le mythe même rapporte par Brough Smyth (I, p. 423-424).
  4. Brough Smyth, p. 125-427. Cf. Howitt, Nat. Tr., p. 486 ; dans ce dernier cas, Karween est identifié avec le héron bleu.
  5. Brough Smyth, I, p. 423.
  6. Ridley, Kamilaroi, p. 136 ; Howitt, Nat. Tr., p. 585 ; Mathews, J. of R. S. of N. S. Wales, XXVIII (1894), p. 111.