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C’est que le totem individuel n’est que la forme extérieure et visible du moi, de la personnalité dont l’âme est la forme invisible et intérieure[1].

Ainsi, le totem individuel a tous les caractères essentiels de l’ancêtre protecteur et il remplit le même rôle ; c’est donc qu’il a la même origine et procède de la même idée.

L’un et l’autre, en effet, consistent dans un dédoublement de l’âme. Le totem, comme l’ancêtre, c’est l’âme de l’individu, mais extériorisée et investie de pouvoirs supérieurs à ceux qu’elle est censée posséder à l’intérieur de l’organisme. Or, ce dédoublement est le produit d’une nécessité psychologique ; car il ne fait qu’exprimer la nature de l’âme qui, comme nous l’avons vu, est double. En un sens, elle est nôtre : elle exprime notre personnalité. Mais en même temps, elle est en dehors de nous puisqu’elle n’est que le prolongement en nous d’une force religieuse qui nous est extérieure. Nous ne pouvons pas nous confondre complètement avec elle, puisque nous lui attribuons une excellence et une dignité par où elle s’élève au-dessus de nous et de notre individualité empirique. Il y a ainsi toute une partie de nous-mêmes que nous tendons à projeter hors de nous. Cette façon de nous concevoir est si bien fondée dans notre nature que nous ne pouvons pas y échapper, alors même que nous tentons de nous penser sans recourir à aucun symbole religieux. Notre conscience morale est comme le noyau autour duquel s’est formée la notion d’âme ; et pourtant, quand elle nous parle, elle nous fait l’effet d’une puissance extérieure et supérieure à nous, qui nous fait la loi et qui nous juge, mais qui nous aide aussi et nous soutient. Quand nous l’avons pour nous, nous nous sentons plus forts contre les épreuves de la vie, plus assurés d’en triompher, tout comme l’Australien, confiant dans son ancêtre ou son totem per-

  1. Ce sont les expressions mêmes employées par Codrington (p. 251).