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détruit sans que l’homme se sente menacé. La croyance, il est vrai, perd aujourd’hui de la force. Cependant Spencer et Gillen l’ont encore observée et, en tout cas, ils estiment qu’autrefois elle était générale[1].

L’identité se retrouve jusque dans le détail des deux conceptions.

Les âmes ancestrales résident dans des arbres ou des rochers qui sont considérés comme sacrés. De même, chez les Euahlayi, l’esprit de l’animal qui sert de totem individuel est censé habiter dans un arbre ou dans une pierre[2]. Cet arbre ou cette pierre sont sacrés : nul ne peut y toucher, sauf le propriétaire du totem ; et encore, quand c’est une pierre ou un rocher, l’interdiction est-elle absolue[3]. Il en résulte que ce sont de vrais lieux de refuge.

Enfin, nous avons vu que l’âme individuelle n’est qu’un autre aspect de l’esprit ancestral ; celui-ci, suivant le mot de Strehlow, sert, en quelque sorte, de second moi[4]. De même, suivant une expression de Mrs Parker, le totem individuel des Euahlayi, appelé Yunbeai, est un alter ego de l’individu : « L’âme de l’homme est dans son Yunbeai et l’âme de son Yunbeai est en lui[5]. » C’est donc, au fond, une même âme en deux corps. La parenté de ces deux notions est si grande qu’elles sont parfois exprimées par un seul et même mot. C’est le cas en Mélanésie et en Polynésie : atai à l’île Mota, tamaniu à l’île Aurore, talegia à Motlaw désignent à la fois l’âme d’un individu et son totem personnel[6]. Il en est de même de aitu à Samoa[7].

  1. Nat. Tr., p. 139.
  2. Parker, The Euahlayi, p. 21. Généralement, l’arbre qui sert à cet emploi est un de ceux qui figurent parmi les sous-totems de l’individu. On donne comme raison de ce choix que, étant de la même famille que cet individu, ils doivent être plus disposés à lui prêter assistance (ibid., p. 29).
  3. Ibid., p. 36.
  4. Strehlow, II, p. 81.
  5. Parker, op. cit., p. 21.
  6. Codrington, The Melanesians, p. 249-253.
  7. Turner, Samoa, p. 17.