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d’eau qui s’est formé spontanément au point précis où il a disparu dans le sol, après avoir terminé sa première existence. Comme cet arbre ou ce rocher passe pour représenter le corps du héros, on imagine que son âme elle-même y revient sans cesse et y habite à titre plus ou moins permanent ; c’est par la présence de cette âme qu’on explique le respect religieux que ces endroits inspirent. Nul ne peut casser une branche de l’arbre nanja sans s’exposer à tomber malade[1]. « Autrefois, le fait de l’abattre ou de le dégrader était puni de mort. Un animal ou un oiseau qui s’y réfugie ne doit pas être tué. Même les bosquets environnants doivent être respectés : le gazon ne doit pas être brûlé. Les rochers, eux aussi, doivent être traités avec respect. Il est interdit de les déplacer et de les briser[2]. » Comme ce caractère sacré est attribué à l’ancêtre, celui-ci apparaît comme l’esprit de cet arbre, de ce rocher, de ce trou d’eau, de cette source[3]. Que la source soit considérée comme soutenant quelques rapports avec la pluie[4], et il deviendra un esprit de la pluie. Ainsi, ces mêmes âmes qui, par un côté, servent de génies protecteurs aux hommes, remplissent en même temps des fonctions cosmiques. C’est sans doute en ce sens qu’il faut entendre un texte de Roth d’après lequel, dans le Queensland septentrional, les esprits de la nature seraient des âmes de décédés, qui auraient élu domicile dans les forêts ou dans les cavernes[5].

Voilà donc, cette fois, des êtres spirituels qui sont autre chose que des âmes errantes et sans efficacité définie.

  1. Schulze, loc. cit., p. 237.
  2. Strehlow, I, p. 5. Cf. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 133 ; Gason, in Curr, II, p. 69.
  3. V. dans Howitt (Nat. Tr., p. 482), le cas d’un Mura-mura qui est considéré comme l’esprit de certaines sources thermales.
  4. North. Tr., p. 313-314 ; Mathews, Journ of R. S. of N. S. Wales, XXXVIII, p. 351. De même, chez les Dieri, il y a un Mura-mura dont la fonction est de produire de la pluie (Howitt, Nat. Tr., p. 798-799).
  5. Roth, Superstition, etc., § 67. Cf. Dawson, p. 58.