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donc pas fondé à supposer qu’elles se sont formées en deux temps distincts ; mais tout prouve qu’elles sont sensiblement contemporaines. De même qu’il n’existe pas de sociétés sans individus, les forces impersonnelles qui se dégagent de la collectivité ne peuvent se constituer sans s’incarner dans des consciences individuelles où elles s’individualisent elles-mêmes. En réalité il n’y a pas là deux processus différents, mais deux aspects différents d’un seul et même processus. Il est vrai qu’ils n’ont pas une égale importance : l’un d’eux est plus essentiel que l’autre. L’idée de mana ne suppose pas l’idée d’âme ; car pour que le mana puisse s’individualiser et se fragmenter en âmes particulières, il faut d’abord qu’il soit, et ce qu’il est en lui-même ne dépend pas des formes qu’il prend en s’individualisant. Au contraire, l’idée d’âme ne peut se comprendre que par rapport à l’idée de mana. À ce titre, on peut bien dire qu’elle est due à une formation secondaire ; mais il s’agit d’une formation secondaire au sens logique, et non chronologique du mot.

V

Mais d’où vient que les hommes ont cru que l’âme survivait au corps et pouvait même lui survivre pendant un temps indéfini ?

De l’analyse à laquelle nous avons procédé, il résulte que la croyance à l’immortalité ne s’est nullement constituée sous l’influence d’idées morales. L’homme n’a pas imaginé de prolonger son existence au-delà du tombeau afin qu’une juste rétribution des actes moraux pût être assurée dans une autre vie, à défaut de celle-ci ; car nous avons vu que toute considération de ce genre était étrangère à la primitive conception de l’au-delà.

On ne peut davantage s’arrêter à l’hypothèse d’après laquelle l’autre vie aurait été conçue comme un moyen