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Pour qu’ils puissent avoir le même corps, il faut que, par un côté tout au moins, leurs deux personnalités se confondent. C’est d’ailleurs ce que reconnaît explicitement Strehlow : « Par le tjutunga (churinga), dit-il, l’individu est uni à son ancêtre personnel[1]. »

Il reste donc que, pour Strehlow comme pour Spencer et Gillen, il y a dans chaque nouveau-né un principe religieux, mystique, qui émane d’un ancêtre de l’Alcheringa. C’est ce principe qui fait l’essence de chaque individu ; c’en est donc l’âme ou, en tout cas, l’âme est faite de la même matière et de la même substance. Or, c’est uniquement sur ce fait fondamental que nous nous sommes appuyé pour déterminer la nature et l’origine de l’idée d’âme. Les métaphores différentes au moyen desquelles il a pu être exprimé n’ont pour nous qu’un intérêt tout à fait secondaire[2].

Loin de contredire les données sur lesquelles repose notre thèse, les récentes observations de Strehlow nous apportent des preuves nouvelles qui la confirment. Notre raisonnement consistait à inférer la nature totémique de l’âme humaine d’après la nature totémique de l’âme ancestrale dont la première est une émanation et une sorte de réplique. Or, quelques-uns des faits nouveaux que nous devons à Strehlow démontrent, plus catégoriquement encore que ceux dont nous disposions jusqu’ici, ce caractère et de l’une et de l’autre. D’abord, tout comme Spencer et Gil-

  1. Strehlow, ibid.
  2. Au fond, la seule divergence réelle qu’il y ait entre Strehlow, d’une part, Spencer et Gillen, de l’autre, est la suivante. Pour ces derniers, l’âme de l’individu, après la mort, revient à l’arbre nanja où elle se confond à nouveau avec l’âme de l’ancêtre (Nat. Tr., p. 5l3) ; pour Strehlow, elle s’en va à l’île des morts où elle finit par être anéantie. Dans un mythe comme dans l’autre, elle ne survit pas individuellement. Quant à la cause de cette divergence, nous renonçons à la déterminer. Il est possible qu’il y ait eu une erreur d’observation commise par Spencer et Gillen qui ne nous parlent pas de l’île des morts. Il est possible aussi que le mythe ne soit pas le même chez les Arunta de l’est que Spencer et Gillen ont surtout observés, et dans d’autres parties de la tribu.