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en clans totémiques, tout comme les hommes d’aujourd’hui, ils passaient leur temps en voyages aux cours desquels ils accomplirent toute sorte d’actions prodigieuses dont les mythes perpétuent le souvenir. Mais un moment vint où cette vie terrestre prit fin : isolément ou par groupes, ils s’enfoncèrent dans le sol. Leurs corps se changèrent en arbres ou en rochers que l’on voit encore aux endroits où ils passent pour avoir disparu sous terre. Mais leurs âmes durent toujours ; elles sont immortelles. Elles continuent même à fréquenter les lieux où s’est terminée l’existence de leurs premiers hôtes. Ces lieux ont, d’ailleurs, en raison des souvenirs qui s’y rattachent, un caractère sacré ; c’est là que se trouvent les oknanikilla, ces sortes de sanctuaires ou sont conservés les churinga du clan et qui sont comme les centres des différents cultes totémiques. Quand une des âmes qui errent autour de l’un de ces sanctuaires s’introduit dans le corps d’une femme, il en résulte une conception et, plus tard, une naissance[1]. Chaque individu est donc considéré comme un nouvel avatar d’un ancêtre déterminé : il est cet ancêtre même, réapparu dans un corps nouveau et sous de nouveaux traits. Or qu’étaient ces ancêtres ?

Tout d’abord, ils étaient doués de pouvoirs infiniment supérieurs à ceux que possèdent les hommes d’aujourd’hui, même les vieillards les plus respectés et les magiciens les plus réputés. On leur prête des vertus que nous pourrions qualifier de miraculeuses : « Ils pouvaient voyager sur le sol, sous le sol, dans les airs : en s’ouvrant une veine, chacun d’eux pouvait inonder des régions tout entières ou, au contraire, faire émerger des terres nou-

  1. V. sur cet ensemble de conceptions, Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 119, 123-127, 387 et suiv. ; North. Tr., p. 145-174. Chez les Gnanji, ce n’est pas nécessairement auprès de l’oknanikilla qu’a lieu la conception. Mais on croit que chaque couple est accompagné, dans ses pérégrinations sur le continent, d’un essaim d’âmes du totem du mari. Quand l’occasion est venue, l’une de ces âmes pénètre dans le corps de la femme et la féconde, où que celle-ci se trouve (North. Tr., p. 169).