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donc appelée à réunir les avantages contraires des deux théories rivales, sans en avoir les inconvénients. Elle conserve tous les principes essentiels de l’apriorisme ; mais en même temps, elle s’inspire de cet esprit de positivité auquel l’empirisme s’efforçait de satisfaire. Elle laisse à la raison son pouvoir spécifique, mais elle en rend compte, et cela sans sortir du monde observable. Elle affirme, comme réelle, la dualité de notre vie intellectuelle, mais elle l’explique, et par des causes naturelles. Les catégories cessent d’être considérées comme des faits premiers et inanalysables ; et cependant, elles restent d’une complexité dont des analyses aussi simplistes que celles dont se contentait l’empirisme ne sauraient avoir raison. Car elles apparaissent alors, non plus comme des notions très simples que le premier venu peut dégager de ses observations personnelles et que l’imagination populaire aurait malencontreusement compliquées, mais, au contraire, comme de savants instruments de pensée, que les groupes humains ont laborieusement forgés au cours des siècles et où ils ont accumulé le meilleur de leur capital intellectuel[1]. Toute une partie de l’histoire de l’humanité y est comme résumée. C’est dire que, pour arriver à les comprendre et à les juger, il faut recourir à d’autres procédés que ceux qui ont été jusqu’à présent en usage. Pour savoir de quoi sont faites ces conceptions que nous n’avons pas faites nous-mêmes, il ne saurait suffire que nous interrogions notre conscience ; c’est hors de nous qu’il faut regarder, c’est l’histoire qu’il faut

  1. C’est pourquoi il est légitime de comparer les catégories à des outils ; car l’outil, de son côté, est du capital matériel accumulé. D’ailleurs entre les trois notions d’outil, de catégorie et d’institution, il y a une étroite parenté.