Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

animait, son humeur, ses qualités bonnes et mauvaises[1], cependant elle est devenue un être nouveau. Dès lors, commence pour elle une nouvelle existence.

Elle se rend au pays des âmes. Ce pays est diversement conçu suivant les tribus ; on trouve même parfois des conceptions différentes qui coexistent côte à côte dans une même société. Tantôt, il est situé sous terre, et chaque groupe totémique a le sien. C’est l’endroit où les premiers ancêtres, fondateurs du clan, se sont, à un moment donné, enfoncés dans le sol et où ils sont venus vivre après leur mort. Il y a ainsi, dans le monde souterrain, une distribution géographique des morts qui correspond à celle des vivants. Là, brille un soleil perpétuel ; là coulent des rivières qui ne sont jamais à sec. Telle est la conception que Spencer et Gillen attribuent aux tribus du centre, Arunta[2], Warramunga[3], etc. On la retrouve chez les Wotjobaluk[4] Ailleurs, tous les morts, quels que soient leurs totems, passent pour vivre ensemble dans un même lieu, plus ou moins vaguement localisé, par-delà la mer, dans une île[5], ou sur les bords d’un lac[6]. Parfois, enfin, c’est dans le ciel, au-delà des nuages, que sont censées se rendre les âmes. « Là, dit Dawson, se trouve une magnifique contrée, abondante en kangourous et en gibier de toute sorte, et où il est mené joyeuse vie. Les âmes s’y retrouvent et

  1. Eylmann, p. 188.
  2. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 524, 491, 496.
  3. Spencer et Gillen, North. Tr., p. 542, 508.
  4. Mathews, Ethnol. Notes on the Aboriginal Tribes of N. S. Wales a. Victoria, in Journ. a. Proc. of the R. S. of N. S. Wales, XXXVIII, p. 287.
  5. Strehlow, I, p. 15 et suiv. Ainsi, d’après Strehlow, chez les Arunta, les morts vivent dans une île ; d’après Spencer et Gillen, dans un lieu souterrain. Il est probable que les deux mythes coexistent, et ils ne sont pas les seuls. Nous verrons qu’on en trouve même un troisième. Sur cette conception de l’île des morts, cf. Howitt, Nat. Tr., p. 498 ; Schürmann, Aborig. Tr. of Port Lincoln, in Eylmann, p. 235 ; p. 189.
  6. Schulze, p. 244.