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indépendance s’accusent avec le plus de netteté. Alors que le corps n’est plus, qu’il n’en reste plus de traces visibles, l’âme continue à vivre ; elle mène, dans un monde à part, une existence autonome.

Mais si réelle que soit cette dualité, elle n’a rien d’absolu. Ce serait se méprendre que de se représenter le corps comme une sorte d’habitat dans lequel l’âme réside, mais avec lequel elle n’a que des rapports extérieurs. Tout au contraire, elle lui est unie par les liens les plus étroits ; elle n’en est même que malaisément et imparfaitement séparable. Déjà nous avons vu qu’elle en a, ou, tout au moins, qu’elle peut en prendre l’aspect extérieur. Par suite, tout ce qui atteint l’un atteint l’autre ; toute blessure du corps se propage jusqu’à l’âme[1]. Elle est si intimement associée à la vie de l’organisme qu’elle grandit avec lui et dépérit avec lui. Voilà pourquoi l’homme qui est parvenu à un certain âge jouit de privilèges qui sont refusés aux jeunes gens ; c’est que le principe religieux qui est en lui a pris plus de force et d’efficacité à mesure qu’il avançait dans la vie. Mais, quand il y a sénilité proprement dite, quand le vieillard est devenu incapable de jouer un rôle utile dans les grandes cérémonies religieuses ou les intérêts vitaux de la tribu sont en jeu, on ne lui témoigne plus d’égards. On considère que la débilité du corps s’est communiquée à l’âme. N’ayant plus les mêmes pouvoirs, le sujet n’a plus droit au même prestige[2].

Il n’y a pas seulement entre l’âme et le corps étroite solidarité, mais partielle confusion. De même qu’il y a quelque chose du corps dans l’âme, puisqu’elle en reproduit parfois la forme, il y a quelque chose de l’âme dans le corps. Certaines régions, certains produits de l’organisme passent pour avoir avec elle une affinité toute spéciale : c’est le

  1. Frazer, On certain Burial Customs, as Illustrative of the Primitive Theory of the Soul, in J.A.I., XV, p. 66.
  2. C’est le cas chez les Kaitish et les Unmatjera. V. Spencer et Gillen, North. Tr., p. 506 et Nat. Tr., p. 512.