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métaphysique, puisque les catégories changent suivant les lieux et les temps ; c’est une sorte particulière de nécessité morale qui est à la vie intellectuelle ce que l’obligation morale est à la volonté[1].

Mais si les catégories ne traduisent originellement que des états sociaux, ne s’ensuit-il pas qu’elles ne peuvent s’appliquer au reste de la nature qu’à titre de métaphores ? Si elles sont faites uniquement pour exprimer des choses sociales, elles ne sauraient, semble-t-il, être étendues aux autres règnes que par voie de convention. Ainsi, en tant qu’elles nous servent à penser le monde physique ou biologique, elles ne pourraient avoir que la valeur de symboles artificiels, pratiquement utiles peut-être, mais sans rapport avec la réalité. On reviendrait donc, par une autre voie, au nominalisme et à l’empirisme.

Mais interpréter de cette manière une théorie sociologique de la connaissance, c’est oublier que, si la société est une réalité spécifique, elle n’est cependant pas un empire dans un empire ; elle fait partie de la nature, elle en est la manifestation la plus haute. Le règne social est un règne naturel, qui ne diffère des autres que par sa complexité plus grande. Or il est impossible que la nature, dans ce qu’elle a de plus essentiel, soit radicalement différente d’elle-même, ici et là. Les relations fondamentales

  1. Il y a analogie entre cette nécessité logique et l’obligation morale, mais il n’y a pas identité, au moins actuellement. Aujourd’hui, la société traite les criminels autrement que les sujets dont l’intelligence seule est anormale ; c’est la preuve que l’autorité attachée aux normes logiques et celle qui est inhérente aux normes morales, malgré d’importantes similitudes, ne sont pas de même nature. Ce sont deux espèces différentes d’un même genre. Il serait intéressant de rechercher en quoi consiste et d’où provient cette différence qui n’est vraisemblablement pas primitive, car, pendant longtemps, la conscience publique a mal distingué l’aliéné du délinquant. Nous nous bornons à indiquer la question. On voit, par cet exemple, le nombre de problèmes que soulève l’analyse de ces notions qui passent généralement pour être élémentaires et simples et qui sont, en réalité, d’une extrême complexité.