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sant un même cri, en prononçant une même parole, en exécutant un même geste concernant un même objet qu’ils se mettent et se sentent d’accord. Sans doute, les représentations individuelles, elles aussi, déterminent dans l’organisme des contrecoups qui ne sont pas sans importance ; elles peuvent cependant être conçues, abstraction faite de ces répercussions physiques qui les accompagnent ou qui les suivent, mais qui ne les constituent pas. Il en va tout autrement des représentations collectives. Elles supposent que des consciences agissent et réagissent les unes sur les autres ; elles résultent de ces actions et de ces réactions qui, elles-mêmes, ne sont possibles que grâce à des intermédiaires matériels. Ceux-ci ne se bornent donc pas à révéler l’état mental auquel ils sont associés ; ils contribuent à le faire. Les esprits particuliers ne peuvent se rencontrer et communier qu’à condition de sortir d’eux-mêmes ; mais ils ne peuvent s’extérioriser que sous la forme de mouvements. C’est l’homogénéité de ces mouvements qui donne au groupe le sentiment de soi et qui, par conséquent, le fait être. Une fois cette homogénéité établie, une fois que ces mouvements ont pris une forme et une stéréotypée, ils servent à symboliser les représentations correspondantes. Mais ils ne les symbolisent que parce qu’ils ont concouru à les former.

D’ailleurs, sans symboles, les sentiments sociaux ne pourraient avoir qu’une existence précaire. Très forts tant que les hommes sont assemblés et s’influencent réciproquement, ils ne subsistent, quand l’assemblée a pris fin, que sous la forme de souvenirs qui, s’ils sont abandonnés à eux-mêmes, vont de plus en plus en pâlissant ; car, comme le groupe, à ce moment, n’est plus présent et agissant, les tempéraments individuels reprennent facilement le dessus. Les passions violentes qui ont pu se déchaîner au sein d’une foule tombent et s’éteignent une fois qu’elle s’est dissoute, et les individus se demandent avec stupeur comment ils ont pu se laisser emporter à ce point hors de leur caractère. Mais si les mouvements par lesquels ces