Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

règne minéral que dans le règne biologique. Le wakan, c’est la cause de tous les mouvements qui se produisent dans l’univers. Nous avons vu de même que l’orenda des Iroquois est « la cause efficiente de tous les phénomènes, et de toutes les activités qui se manifestent autour de l’homme ». C’est un pouvoir « inhérent à tous les corps, à toutes les choses »[1]. C’est l’orenda qui fait que le vent souffle, que le Soleil éclaire et échauffe la Terre, que les plantes poussent, que les animaux se reproduisent, que l’homme est fort, habile, intelligent. Quand l’Iroquois dit que la vie de la nature tout entière est le produit des conflits qui s’établissent entre les orenda, inégalement intenses, des différents êtres, il ne fait qu’exprimer en son langage cette idée moderne que le monde est un système de forces qui se limitent, se contiennent et se font équilibre.

Le Mélanésien attribue au mana le même genre d’efficacité. C’est grâce à son mana qu’un homme réussit à la chasse ou à la guerre, que ses jardins ont un bon rendement, que ses troupeaux prospèrent. Si la flèche atteint son but, c’est qu’elle est chargée de mana ; c’est la même raison qui fait qu’un filet prend bien le poisson, qu’un canot tient bien la mer[2], etc. Il est vrai que, si l’on prenait à la lettre certaines expressions de Codrington, le mana serait la cause à laquelle on rapporte spécialement « tout ce qui dépasse le pouvoir de l’homme, tout ce qui est en dehors de la marche ordinaire de la nature »[3]. Mais des exemples mêmes qu’il cite il résulte que la sphère du mana est bien plus étendue. En réalité, il sert à expliquer des phénomènes usuels et courants ; il n’y a rien de surhumain ni de surnaturel à ce qu’un bateau navigue, à ce qu’un chasseur prenne du gibier, etc. Seulement, parmi ces événements de la vie journalière, il en est de tellement insignifiants et de si

  1. Hewitt, in American Anthropologist, 1902, p. 36.
  2. The Melanesians, p. 118-120.
  3. Ibid., p. 119.