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parenté. Le principe totémique est donc, en même temps qu’une force matérielle, une puissance morale : aussi verrons-nous qu’il se transforme facilement en divinité proprement dite.

Il n’y a rien là, d’ailleurs, qui soit spécial au totémisme. Même dans les religions les plus avancées, il n’y a peut-être pas de dieu qui n’ait gardé quelque chose de cette ambiguïté et qui ne remplisse des fonctions à la fois cosmiques et morales. En même temps qu’une discipline spirituelle, toute religion est une sorte de technique qui permet à l’homme d’affronter le monde avec plus de confiance. Même pour le chrétien, Dieu le Père n’est-il pas le gardien de l’ordre physique, aussi bien que le législateur et le juge de la conduite humaine ?

II

On se demandera peut-être si, en interprétant ainsi le totémisme, nous ne prêtons pas au primitif des idées qui dépassent la portée de son esprit. Et sans doute, nous ne sommes pas en mesure d’affirmer qu’il se représente ces forces avec la netteté relative que nous avons dû mettre dans notre analyse. Nous pouvons bien faire voir que cette notion est impliquée par l’ensemble de ses croyances et qu’elle les domine ; mais nous ne saurions dire jusqu’à quel point elle est expressément consciente, dans quelle mesure, au contraire, elle n’est qu’implicite et confusément sentie. Tout moyen manque pour préciser le degré de clarté qu’une idée comme celle-là peut avoir dans ces obscures consciences. Mais ce qui montre bien, en tout cas, qu’elle n’excède en rien la mentalité primitive, ce qui confirme, au contraire, le résultat auquel nous venons de parvenir, c’est que, soit dans des sociétés parentes des tribus australiennes, soit même dans ces dernières, nous trouvons, et sous forme explicite, des conceptions qui ne