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dont un esprit serait l’agent. Or l’âme et, plus encore, l’esprit sont des choses sacrées, objets de rites ; les notions qui les expriment sont donc essentiellement religieuses, et, par conséquent, Frazer a beau faire du totémisme un système purement magique, lui aussi ne parvient à l’expliquer qu’en fonction d’une autre religion.

Mais nous avons montré les insuffisances et du naturisme et de l’animisme ; on ne peut donc y recourir, comme ont fait Tylor et Jevons, sans s’exposer aux mêmes objections. Et cependant ni Frazer ni Lang ne paraissent entrevoir la possibilité d’une autre hypothèse[1]. D’un autre côté, nous savons que le totémisme est étroitement lié à l’organisation sociale la plus primitive que nous connaissions et même, selon toute vraisemblance, qui soit concevable. Supposer qu’il a été précédé d’une autre religion qui n’en différait pas seulement en degrés, c’est donc sortir des données de l’observation pour entrer dans le domaine des conjectures arbitraires et invérifiables. Si nous voulons rester d’accord avec les résultats que nous avons précédemment obtenus, il faut, tout en affirmant la nature religieuse du totémisme, nous interdire de le ramener à une religion différente de lui-même. Ce n’est pas qu’il puisse être question de lui assigner comme causes des idées qui ne seraient pas religieuses. Mais parmi les représentations qui entrent dans la genèse dont il est résulté, il peut y en avoir qui appellent par elles-mêmes et directement le caractère religieux. Ce sont elles qu’il nous faut rechercher.

  1. Sauf que Lang dérive d’une autre source l’idée des grands dieux : elle serait due, comme nous avons dit, à une sorte de révélation primitive. Mais Lang ne fait pas intervenir cette idée dans son explication du totémisme.