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religion par lui-même ; il n’aurait fait que se colorer de religiosité au contact d’une religion proprement dite.

Mais ces mythes mêmes vont contre la conception que Lang se fait du totémisme. Si les Australiens n’avaient vu dans le totem qu’une chose humaine et profane, l’idée ne leur serait pas venue d’en faire une institution divine. Si, au contraire, ils ont éprouvé le besoin de le rapporter à une divinité, c’est qu’ils lui reconnaissent un caractère sacré. Ces interprétations mythologiques démontrent donc la nature religieuse du totémisme, mais ne l’expliquent pas.

D’ailleurs, Lang se rend lui-même compte que cette solution ne saurait suffire. Il reconnaît que les choses totémiques sont traitées avec un respect religieux[1] ; que, notamment, le sang de l’animal, comme, d’ailleurs, le sang de l’homme, est l’objet de multiples interdits, ou, comme il dit, de tabous que cette mythologie plus ou moins tardive ne peut expliquer[2]. Mais alors d’où viennent-ils ? Voici en quels termes Lang répond à cette question : « Aussitôt que les groupes à noms d’animaux eurent développé les croyances universellement répandues sur le wakan ou le mana, ou la qualité mystique et sacrée du sang, les différents tabous totémiques durent également faire leur apparition[3]. » Les mots de wakan et de mana, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, impliquent la notion même de sacré ; l’un est emprunté à la langue des Sioux, l’autre à celle des peuples mélanésiens. Expliquer le caractère sacré des choses totémiques en postulant ce caractère, c’est répondre à la question par la question. Ce qu’il faudrait faire voir c’est d’où vient cette notion de wakan et comment elle s’est appliquée au totem et à tout

  1. « With reverence », comme dit Lang (The Secret of the Totem, p, lll).
  2. À ces tabous, Lang ajoute ceux qui sont à la base des pratiques exogamiques.
  3. Ibid., p. 136-137.