Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment, on devrait le voir perdre du terrain et s’effacer devant l’autre chez les peuples plus avancés. Or c’est le contraire qui est la vérité. Les tribus australiennes sont de beaucoup plus arriérées que celles de l’Amérique du Nord ; et cependant, l’Australie est le terrain de prédilection du totémisme collectif. Dans la grande majorité des tribus, il règne seul, tandis qu’il n’en est pas une, à notre connaissance, où le totémisme individuel soit seul pratiqué[1]. On ne trouve ce dernier, sous une forme caractérisée, que dans un nombre infime de tribus[2]. Là même où il se rencontre, ce n’est le plus souvent qu’à l’état rudimentaire. Il consiste alors en pratiques individuelles et facultatives, mais qui n’ont aucun caractère de généralité. Seuls, les magiciens connaissent l’art de nouer des relations mystérieuses avec des espèces animales auxquelles ils ne sont pas naturellement apparentés. Les gens du commun ne jouissent pas de ce privilège[3]. Au contraire, en Amérique, le totem collectif est en pleine décadence ; dans les sociétés du Nord-Ouest notamment, il n’a plus qu’un caractère religieux assez effacé. Inversement, chez ces mêmes peuples, le totem individuel joue un rôle considérable. On lui attribue une très grande efficacité ; il est devenu une véritable institution publique. C’est donc qu’il est caractéristique d’une civilisation plus avancée. Voilà, sans doute, comment s’explique l’inversion que Hill Tout croit avoir observée chez les Salish entre ces deux formes de totémisme. Si, là où le totémisme collectif est pleinement développé, l’autre fait presque complètement défaut, ce n’est pas parce

  1. Sauf peut-être chez les Kurnai ; et encore, dans cette tribu, y a-t-il, outre les totems personnels, des totems sexuels.
  2. Chez les Wotjobaluk, les Buandik, les Wiradjuri, les Yuin et les tribus voisines de Maryborough (Queensland). V. Howitt, Nat. Tr., p. 114-147 ; Mathews, J. of R. Soc. of N. S. Wales, XXXVIII, p. 291. Cf. Thomas, Further Notes on M. Hill Tout’s Views of Totemism, in Man, 1904, p. 85.
  3. C’est le cas des Euahlayi et des faits de totémisme personnel signalés par Howitt dans Australian Medicine Men, in J.A.I., XVI, p. 34, 45 et 49-50.