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une division est censée être en rapport avec le nord ; une autre représente l’ouest, une autre le sud[1], etc. « Chaque quartier du pueblo a sa couleur caractéristique qui le symbolise ; chaque région a la sienne qui est exactement celle du quartier correspondant. Au cours de l’histoire, le nombre des clans fondamentaux a varié ; le nombre des régions de l’espace a varié de la même manière. Ainsi, l’organisation sociale a été le modèle de l’organisation spatiale qui est comme un décalque de la première. Il n’y a pas jusqu’à la distinction de la droite et de la gauche qui, loin d’être impliquée dans la nature de l’homme en général, ne soit très vraisemblablement le produit de représentations religieuses, partant collectives[2].

On trouvera plus loin des preuves analogues relatives aux notions de genre, de force, de personnalité, d’efficacité. On peut même se demander si la notion de contradiction ne dépend pas, elle aussi, de conditions sociales. Ce qui tend à le faire croire, c’est que l’empire qu’elle a exercé sur la pensée a varié suivant les temps et les sociétés. Le principe d’identité domine aujourd’hui la pensée scientifique ; mais il y a de vastes systèmes de représentations qui ont joué dans l’histoire des idées un rôle considérable et où il est fréquemment méconnu : ce sont les mythologies, depuis les plus grossières jusqu’aux plus savantes[3]. Il y est, sans cesse, question d’êtres qui ont simultanément les attributs

  1. Zuñi Creation Myths, in 13th Rep. of the Bureau of Amer. Ethnology, p. 367 et suiv.
  2. V. Hertz, La prééminence de la main droite. Étude de polarité religieuse, in Rev. philos., décembre 1909. Sur cette même question des rapports entre la représentation de l’espace et la forme de la collectivité, voir dans Ratzel., Politische Geographie, le chapitre intitulé « Der Raum im Geist der Völker. »
  3. Nous n’entendons pas dire que la pensée mythologique l’ignore, mais qu’elle y déroge plus souvent et plus ouvertement que la pensée scientifique. Inversement, nous montrerons que la science ne peut pas ne pas le violer, tout en s’y conformant plus scrupuleusement que la religion. Entre la science et la religion, il n’y a, sous ce rapport comme sous bien d’autres, que des différences de degrés ; mais s’il ne faut pas les exagérer, il importe de les noter, car elles sont significatives.