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Fletcher[1], par Boas[2] et par Swanton[3]. Elle a, d’ailleurs, l’avantage d’être d’accord avec la conception qu’on se fait couramment de la religion : on y voit assez généralement une chose toute intime et personnelle. De ce point de vue, le totem du clan ne peut donc être qu’un totem individuel qui se serait généralisé. Un homme marquant, après avoir éprouvé la valeur d’un totem qu’il s’était librement choisi, l’aurait transmis à ses descendants ; ceux-ci, en se multipliant avec le temps, auraient fini par former cette famille étendue qu’est le clan, et c’est ainsi que le totem serait devenu collectif.

Hill Tout a cru trouver une preuve à l’appui de cette théorie dans la manière dont le totémisme est entendu par certaines sociétés du Nord-Ouest américain, notamment par les Salish et les Indiens de la Rivière Thompson. Chez ces peuples, en effet, on rencontre et le totémisme individuel et le totémisme de clan ; mais ou bien ils ne coexistent pas dans une même tribu, ou bien, quand ils coexistent, ils sont inégalement développés. Ils varient en raison inverse l’un de l’autre : là ou le totem de clan tend à être la règle générale, le totem individuel tend à disparaître, et inversement. N’est-ce pas dire que le premier est une forme plus récente du second qu’il exclut en le remplaçant[4] ? La mythologie semble confirmer cette interprétation. Dans ces mêmes sociétés, en effet, l’ancêtre du clan n’est pas un animal totémique : mais on se représente généralement le fondateur du groupe sous les traits d’un être humain qui, à un moment donné, serait entré en rapports et en commerce familier avec un animal fabuleux de qui il aurait reçu son

  1. Alice C. Fletcher, The Import of the Totem, in Smithsonian Report for 1897, p. 577-586.
  2. The Kwakiutl Indians, p. 323 et suiv., 336-338, 393.
  3. The Development of the Clan System, in Amer. Anthrop., n. s., 1904, VI, p. 477-864.
  4. J.A.I., XXXV, p. 142.