Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/255

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rigoureusement dans le domaine religieux qui lui est propre sans jamais chercher à empiéter sur celui des voisins. Cette réserve et cette modération sont inintelligibles dans l’hypothèse que nous examinons.

II

Toutes ces théories ont, d’ailleurs, le tort d’omettre une question qui domine toute la matière. Nous avons vu qu’il existe deux sortes de totémisme : celui de l’individu et celui du clan. Entre l’un et l’autre, il y a une trop évidente parenté pour qu’il n’existe pas entre eux quelque rapport. Il y a donc lieu de se demander si l’un n’est pas dérivé de l’autre et, en cas de réponse affirmative, quel est le plus primitif ; suivant la solution qui sera adoptée, le problème des origines du totémisme se posera dans des termes différents. La question s’impose d’autant plus qu’elle offre un intérêt très général. Le totémisme individuel, c’est l’aspect individuel du culte totémique. Si donc il est le fait primitif, il faut dire que la religion est née dans la conscience de l’individu, qu’elle répond avant tout à des aspirations individuelles, et qu’elle n’a pris que secondairement une forme collective.

L’esprit simpliste, dont s’inspirent encore trop souvent ethnographes et sociologues, devait naturellement incliner nombre de savants à expliquer, ici comme ailleurs, le complexe par le simple, le totem du groupe par celui de l’individu. Telle est, en effet, la théorie soutenue par Frazer, dans son Golden Bough[1], par Hill Tout[2], par Miss

  1. 2e éd., III, p. 416 et suiv. ; voir particulièrement p. 419, n. 5. Dans de plus récents articles, qui seront analysés plus loin, Frazer a exposé une théorie différente qui pourtant, dans sa pensée, n’exclut pas complètement celle du Golden Bough.
  2. The Origin of the Totemism of the Aborigines of British Columbia, in Proc. and Transac. of the R. Society of Canada, 2e série, VII, 2e section, p. 3 et suiv. Du même, Report on the Ethnology of the Statlumh, J.A.I., XXXV, p. 141. Hill Tout a répondu à différentes objections qui avaient été faites à sa théorie dans le tome IX des Trans. of the R. Society of Canada, p. 61-99.