Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelconque, qu’il choisit ainsi pour sa résidence posthume, devienne ensuite sacré pour toute sa famille[1]. Bien loin donc de constituer un fait primitif, le totémisme ne serait que le produit d’une religion plus complexe qui l’aurait précédé[2].

Mais les sociétés auxquelles ces faits sont empruntés sont déjà parvenues à une culture assez élevée ; en tout cas, elles ont dépassé la phase du pur totémisme. Il y a chez elles des familles, non des clans totémiques[3]. Même la plupart des animaux auxquels sont ainsi rendus des honneurs religieux sont vénérés, non par des groupes familiaux déterminés, mais par des tribus tout entières. Si donc ces croyances et ces pratiques peuvent n’être pas sans rapports avec d’anciens cultes totémiques, elles n’en représentent plus maintenant que des formes altérées[4] et, par conséquent, ne sont guère propres à nous en révéler les origines. Ce n’est pas en considérant une institution au moment où elle est en pleine décadence qu’on peut arriver à comprendre comment elle s’est formée. Si l’on veut savoir comment le totémisme a pris naissance, ce n’est ni Java, ni Sumatra, ni la Mélanésie qu’il faut observer : c’est l’Australie. Or, ici, il n’existe ni culte des morts[5] ni doctrine de la transmigration. Sans doute, on croit que les héros mythiques, fondateurs du clan, se réincarnent périodiquement ; mais c’est exclusivement dans des corps humains ; chaque naissance, comme nous le verrons, est le produit d’une de ces réincarnations. Si donc les animaux de l’es-

  1. Codrington, The Melanesians, p. 32-33, et lettre personnelle du même auteur citée par Tylor dans J.A.I., XXVIII, p. 147.
  2. Telle est aussi, à des nuances près, la solution adoptée par Wundt (Mythus und Religion, II, p. 269).
  3. Il est vrai que, pour Tylor, le clan n’est qu’une famille élargie ; par suite, ce qui se peut dire de l’un de ces groupes s’applique dans sa pensée à l’autre (J.A.I., XXVIII, p. 157). Mais cette conception est des plus contestables ; le clan seul suppose le totem qui n’a tout son sens que dans et par le clan.
  4. Dans le même sens, A. Lang, Social Origins, p. 150.
  5. V. plus haut, p. 89.