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l’animal protecteur de l’individu[1]. Si Tylor et Powell ont repoussé cette dénomination et réclamé des termes différents pour ces deux sortes d’institutions religieuses, c’est que, suivant eux, le totem collectif n’est qu’un nom, une étiquette commune, sans caractères religieux[2]. Mais nous savons, au contraire, qu’il est une chose sacrée, et même à un plus haut degré que l’animal protecteur. La suite de cette étude montrera, d’ailleurs, combien ces deux sortes de totémisme sont inséparables l’une de l’autre[3].

Toutefois, si grande que soit la parenté de ces deux institutions, il y a entre elles des différences importantes. Alors que le clan se considère comme issu de l’animal ou de la plante qui lui sert de totem, l’individu ne croit soutenir aucun rapport de descendance avec son totem personnel. C’est un ami, un associé, un protecteur ; ce n’est pas un parent. On profite des vertus qu’il est censé posséder ; mais on n’est pas du même sang. En second lieu, les membres d’un clan permettent aux clans voisins de manger de l’animal dont ils portent collectivement le nom, sous la seule condition que les formalités nécessaires soient observées. Au contraire, non seulement l’individu respecte l’espèce à laquelle appartient son totem personnel, mais encore il s’efforce de la protéger contre les étrangers, partout du moins où la destinée de l’homme et celle de l’animal passent pour être connexes.

Mais ces deux sortes de totems diffèrent surtout par la manière dont ils sont acquis.

Le totem collectif fait partie du statut légal de chaque

  1. C’est le cas en Australie chez les Yuin (Howitt, Nat. Tr., p. 8l), chez les Narrinyeri (Meyer, Manners a. Customs of the Aborigines of the Encounter Bay Tribe, in Woods, p. 197 et suiv.).
  2. « Le totem ne ressemble pas plus au patron de l’individu, dit Tylor, qu’un écusson à une image de saint » (loc. cit., p. 2). De même, si Frazer se rallie aujourd’hui à l’opinion de Tylor, c’est, qu’il refuse maintenant tout caractère religieux au totem de clan (Totemism and Exogamy, III, p. 452).
  3. V. plus bas, même livre, chap. IX.