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en quelque sorte, ajustés les uns aux autres puisqu’ils se complètent exactement. Nous avons vu, en effet, que, normalement, un même totem ne se répétait pas deux fois dans la même tribu et que l’univers entier était réparti entre les totems ainsi constitués de manière à ce que le même objet ne se retrouve pas dans deux clans différents. Une répartition aussi méthodique n’aurait pu se faire sans un accord, tacite ou réfléchi, auquel toute la tribu a dû participer. L’ensemble de croyances qui a ainsi pris naissance est donc, en partie (mais en partie seulement), une chose tribale[1].

En résumé, pour se faire une idée adéquate du totémisme, il ne faut pas s’enfermer dans les limites du clan, mais considérer la tribu dans sa totalité. Assurément, le culte particulier de chaque clan jouit d’une très grande autonomie : on peut même prévoir dès maintenant que c’est dans le clan que se trouve le ferment actif de la vie religieuse. Mais d’un autre côté, tous ces cultes sont solidaires les uns des autres et la religion totémique est le système complexe formé par leur réunion, tout comme le polythéisme grec était constitué par la réunion de tous les cultes particuliers qui s’adressaient aux différentes divinités. Nous venons de montrer qu’ainsi entendu le totémisme, lui aussi, a sa cosmologie.

  1. On pourrait même se demander s’il n’existe pas parfois des totems tribaux. C’est ainsi que, chez les Arunta, il y a un animal, le chat sauvage, qui sert de totem à un clan particulier, et qui, pourtant, est interdit à la tribu tout entière ; même les gens des autres dans ne peuvent en manger que très modérément (Nat. Tr., p. 168). Mais nous croyons qu’il y aurait abus à parler en cette circonstance d’un totem tribal, car de ce que la libre consommation d’un animal est interdite, il ne suit pas que celui-ci soit un totem. D’autres causes peuvent donner naissance à l’interdiction. Sans doute, l’unité religieuse de la tribu est réelle, mais c’est à l’aide d’autres symboles qu’elle s’affirme. Nous montrerons plus bas quels ils sont (liv. 1, chap. IX).