Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi facilement à la même dignité que les choses sacrées par excellence, les totems proprement dits.

Le cercle des choses religieuses s’étend donc bien au-delà des limites dans lesquelles il paraissait tout d’abord renfermé. Il ne comprend pas seulement les animaux totémiques et les membres humains du clan ; mais, puisqu’il n’existe rien de connu qui ne soit classé dans un clan et sous un totem, il n’existe également rien qui ne reçoive, à des degrés divers, quelque reflet de religiosité. Quand, dans les religions qui se formeront ultérieurement, les dieux proprement dits apparaîtront, chacun d’eux sera préposé à une catégorie spéciale de phénomènes naturels, celui-ci à la mer, celui-là à l’atmosphère, un autre à la moisson ou aux fruits, etc., et chacune de ces provinces de la nature sera considérée comme tirant la vie qui est en elle du dieu dont elle dépend. C’est précisément cette répartition de la nature entre les différentes divinités qui constitue la représentation que ces religions nous donnent de l’univers. Or, tant que l’humanité n’a pas dépassé la phase du totémisme, les différents totems de la tribu jouent exactement le rôle qui reviendra plus tard aux personnalités divines. Dans la tribu du Mont-Gambier, que nous avons prise pour principal exemple, il y a dix clans ; par suite, le monde entier est réparti en dix classes, ou plutôt en dix familles dont chacune a un totem spécial pour souche. C’est de cette souche que toutes les choses classées dans un clan tiennent leur réalité, puisqu’elles sont conçues comme des modes variés de l’être totémique ; pour reprendre notre exemple, la pluie, le tonnerre, l’éclair, les nuages, la grêle, l’hiver sont regardés comme des sortes différentes de corbeau. Réunies, ces dix familles de choses constituent une représentation complète et systématique du monde ; et cette représentation est religieuse, puisque ce sont des notions religieuses qui en fournissent les principes. Loin d’être borné à une ou deux catégories d’êtres, le domaine de la religion totémique s’étend