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On rencontre la même organisation chez les Indiens de l’Amérique du Nord. Les Zuñi ont un système de classification qui, dans ses lignes essentielles, est de tous points comparable à ceux que nous venons de décrire. Celui des Omaha repose sur les mêmes principes que celui des Wotjobaluk[1]. Un écho de ces mêmes idées persiste jusque dans les sociétés les plus avancées. Chez les Haida, tous les dieux, tous les êtres mythiques qui sont préposés aux différents phénomènes de la nature sont eux-mêmes classés, tout comme les hommes, dans l’une ou l’autre des deux phratries que comprend la tribu ; les uns sont des Aigles, les autres des Corbeaux[2]. Or les dieux des choses ne sont qu’un autre aspect des choses mêmes qu’ils gouvernent[3]. Cette classification mythologique n’est donc qu’une autre forme des précédentes. Nous sommes ainsi assurés que cette façon de concevoir le monde est indépendante de toute particularité ethnique ou géographique ; mais en même temps, il apparaît avec évidence qu’elle tient étroitement à l’ensemble des croyances totémiques.

II

Dans le travail auquel nous avons déjà fait plusieurs fois allusion, nous avons montré quelle lumière ces faits jettent sur la façon dont s’est formée, dans l’humanité, la notion de genre ou de classe. En effet, ces classifications systématiques sont les premières que nous rencon-

  1. Ibid., p. 34 et suiv.
  2. Swanton, The Haida, p. 13-14, 17, 22.
  3. C’est particulièrement manifeste chez les Haida. Chez eux, dit Swanton, tout animal a deux aspects. Par un côté, c’est un être ordinaire, qui peut être chassé et mangé ; mais en même temps, c’est un être surnaturel, qui a la forme extérieure d’un animal, et de qui l’homme dépend. Les êtres mythiques, correspondant aux divers phénomènes cosmiques, ont la même ambiguïté (Swanton, ibid., p. 14, 16, 25).