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retrouve en Amérique des légendes analogues, sauf que, en raison de la mentalité plus développée de ces peuples, les représentations qu’elles mettent en œuvre ne sont pas d’une confusion aussi troublante pour la pensée. Tantôt, c’est quelque personnage légendaire qui, par un acte de son pouvoir, aurait métamorphosé en homme l’animal éponyme du clan[1]. Tantôt le mythe essaye d’expliquer comment, par une suite d’événements à peu près naturels et une sorte d’évolution spontanée, l’animal, de lui-même, se serait peu à peu transformé et aurait fini par prendre une forme humaine[2].

Il existe, il est vrai, des sociétés (Haida, Tlinkit, Tsimshian) où il n’est plus admis que l’homme soit né d’un animal ou d’une plante : l’idée d’une affinité entre les animaux de l’espèce totémique et les membres du clan y a, pourtant, survécu, et elle s’exprime en des mythes qui, pour différer des précédents, ne laissent pas de les rappeler dans ce qu’ils ont d’essentiel. Voici, en effet, l’un des thèmes fondamentaux. L’ancêtre éponyme y est présenté comme un être humain, mais qui, à la suite de péripéties diverses, aurait été amené à vivre pendant un temps plus

  1. C’est le cas des neuf clans des Moqui (Schoolcraft, Indian Tribes, IV, p. 86), du clan de la Grue chez les Ojibway (Morgan, Ancient Society, p. 180), des clans des Nootka (Boas, VIth Rep. on the N. W. Tribes of Canada, p. 43), etc.
  2. C’est ainsi que se serait formé le clan de la Tortue chez les Iroquois. Un groupe de tortues aurait été obligé de quitter le lac où elles vivaient et de chercher un autre habitat. Une d’elles, plus grosse que les autres, supportait avec peine cet exercice à cause de la chaleur. Elle fit des efforts si violents qu’elle sortit de sa carapace. Le processus de transformation, une fois commencé, se poursuivit de lui-même et la tortue devint un homme qui fut l’ancêtre du clan (Erminnie A. Smith, The Myths of the Iroquois, IId Rep., p. 77). Le clan de l’Écrevisse chez les Choctaw se serait formé d’une manière analogue. Des hommes auraient surpris un certain nombre d’écrevisses qui vivaient dans leur voisinage, les auraient amenées au milieu d’eux, leur auraient appris à parler, à marcher, et finalement les auraient adoptées dans leur société (Catlin, North American Indians, II, p. 128).